jeudi 25 février 2016

adresse à mon amie l'orthographe




après avoir exprimé mon avis en prose (ici), le voici en vers. 

Amie Orthographe
Il nous fait faire gaffe

On te défigure
On te dénature

Fini le réflexe
Accent circonflexe
Le trait qui nous unit
Disparu lui aussi

Amie Orthographe
Bientôt en carafe

On me met en panne
J’aurai l’air d’un âne

Avec la mouture
D’avant la cassure
La réforme honnie
Et sa cacophonie

Amie Orthographe
Un jour ton biographe

Dira tes mutations
Depuis ta création

Et un géographe
Mettra sur un graphe
Toutes les filiations
Toutes tes déviations

Amie orthographe
Aucune épitaphe

Pour toi qui évolue
Riant de l’absolu

Point d’échange de baffes
Ou de noms de piafs
Tu changes, et alors ?
Je partage ton sort

Orthographe amie
Ici point d’infamie
Amie orthographe
Voici mon parafe

lundi 22 février 2016

Esprit des lieux, Tristan Savin



Rarement un livre m’aura autant agacée et fascinée en même temps. Voir la quatrième de couverture ici

Fascinée je le fus, car Tristan Savin évoque avec beaucoup de poésie des lieux mythiques, que je ne connais pas mais dont je rêve… Voyager au gré de sa plume et de celles des écrivains qu’il convoque à Zanzibar, Ispahan, Saint-Pétersbourg, Bali (et plein d’autres) est un enchantement. J’ai d’ailleurs conforté dans cette lecture mon envie de lire Kim, de Rudyard Kypling, fortement recommandé lors d’une réunion des lecteurs du canal par @schaptal

Fascinée au point au point d’avoir sans arrêt envie de découvrir un lieu de plus, aller une page plus loin.

Je dois aussi à ce livre d’avoir appris que « le brésil est un arbre, le pau brasil. Et l’aubier de ce brasil produit une teinture cramoisie ». Au cours de mes recherches sur les arbres remarquables pour écrire les nouvelles de l’Arboretum imaginaire, je n’ai pas croisé ce pau brasil, j’en ai des regrets…

Mais…

Agaçée aussi par un certain nombre de partis pris. Quand j’avais une râlerie à formuler sur une chronique, j’ai corné la page. Il y a un peu trop de coins pliés à mon goût… Bon, j’y vais, je dresse la liste de mes récriminations.

D’abord les facilités stylistiques. Tristan Savin y succombe fort peu mais quand, par exemple, on lit deux chroniques ou Paul Morand est désigné par l’expression « l’homme pressé », comment ne pas trouver qu’il y a un peu de paresse chez l’auteur ?

Après un tour de France des lieux littéraires, Tristan Savin fait celui de l’Europe. Et immense étonnement, Barcelone n’y figure pas ! C’est pourtant une ville qui a inspiré de nombreux romans, au premier rang desquels je voudrais citer La cité des prodiges, d’Eduardo Mendoza. Dans cette immense saga qui progresse au gré des transformations de la ville, le personnage principal n’est pas Onofre Bouvila, mais bien la cité, son atmosphère, son aptitude à se réinventer. Et on ne peut s’empêcher de penser bien sûr à Juan Marsé, qui décrit dans ses romans l’influence de la Barcelone plombée des années 50 sur ses habitants (j’ai évoqué Calligraphie des rêves ici), à Carlos Ruiz Zafon et l’ombre du vent, à Ildefonso Falcones et la cathédrale de la mer, et bien sûr à Pepe Carvalho, le barcelonais 100% pur sucre de Vazquez Montalban. Bref, il y avait matière à une chronique, mais sans les auteurs fétiches de notre chroniqueur. Est-ce là une explication ?

Lorsqu’il évoque Tokyo, comme d’ailleurs presque tous les autres lieux mentionnés, Tristan Savin s’arrête aux années 50. Nous savons tous comme le monde a changé depuis cette époque, et il est des places pour lesquelles ce changement est plus fort. Tokyo fait partie de ces lieux, et l’évocation des japonaises en kimono est singulièrement désuète… En 1998, lors d’un déplacement professionnel au Japon, j’ai plus été frappée par l’accoutrement des jeunes filles, mini-jupes plissées, jambières, frivolités de toutes sortes, que par les grand-mères en kimono, même si j’en ai croisée une ou deux dans le métro. Les japonais accompagnant avec rapidité les métamorphoses des époques, mes jeunes filles sont peut-être elle aussi tombées aux oubliettes…

Dans la chronique terre d’Algérie, nous sombrons dans l’approximation. Tristan Savin évoque Isabelle Eberhardt, et dit qu’elle a connu la révélation lors d’un reportage dans le sud oranais. Puis il enchaine par une citation « Sous l’accablement d’un ciel sans nuages, Alger dormait ». J’ai été vérifier sur une carte qu’Alger n’est pas au sud d’Oran, tant l’enchainement trop rapide m’a troublée !

La chronique sur le désert saharien ne fait pas mention de Frison-Roche, et celle sur le cœur de l’Afrique oublie Karen Blixen. C’est fort dommage, car cela aurait permis d’élargir le cercle des écrivains cités et d’ouvrir les points de vue.

Je vais cesser là mes critiques, pour conseiller à tous mes lecteurs curieux du monde qui nous entoure cette lecture, autant pour puiser dans la bibliographie des suggestions d’autres lectures que pour la prose de Tristan Savin.

vendredi 12 février 2016

Réforme de l’orthographe


Je ne l’aime pas, cette réforme. Enlever des accents circonflexe ou des traits d’unions, c’est séparer ces mots de leurs origines.
J’aime bien l’accent circonflexe d’hôpital qui le relie à hospitalier, ou celui de goût qui le relie à déguster. J’aime bien écrire clef (et non pas clé, mot qui n’a pas d’esthétique graphique), en pensant aux claveaux d’une voûte, et à son clavetage… 



En CM1 / CM2, notre institutrice nous faisait plancher sur les familles de mots : elle nous soumettait un mot, à nous de trouver un maximum de mots ayant les mêmes racines. J’adorais ce jeu, et j’ai beaucoup appris grâce à lui. Ainsi je me souviens avoir découvert le lien entre feu et ignifugé.  Elle nous enseignait aussi à reconnaitre les préfixes et les suffixes autour du radical. J’ai alors compris le sens du « a » privatif (amoral), du « in » négatif (inattention), etc… cela m’a toujours aidée, lorsque je tombe sur un mot que je ne connais pas, à en deviner par intuition le sens. Depuis cette époque, l’accent circonflexe n’a plus de secrets pour moi ! Comme quoi on peut enseigner les choses de façon simple.

Ceci dit il faut bien reconnaître qu’il y a des mystères dans son utilisation : pourquoi icône / iconoclaste ? pourquoi déjeuner / jeûner ? A cause de ces subtilités incroyables du français, qui font que toute règle a des exceptions, comment arriver à maîtriser le français dans toutes ses complications ? (Autre question : comment demander à des jeunes de respecter des règles de vie en société, sans exception, quand la langue française elle-même n’en est pas le modèle ?)

C’est pourquoi je n’ai pas fait de foin sous prétexte que cette réforme s’applique, vingt-six ans après avoir été décidée. Elle ne résoudra en rien le problème de la difficulté d’apprentissage de la langue à l’école, mais elle ne dénature pas la langue. Bien moins en tous cas que la création de mots qui écorchent l’oreille, comme lors de la féminisation des noms de profession : ah, auteure ! ah, écrivaine ! et la subtilité Madame la générale et Madame le général ! Dans certaines entreprises, on ne sait pas encore si on doit dire Mme la directrice ou Mme le directeur. Quand à sage-femme, il n’a pas trouvé son pendant masculin…On recommande le mot maïeuticien, mais alors il faudrait dire maïeuticienne pour une femme !

Tout ceci pour dire qu’une harmonisation de certains usages de la langue française serait la bienvenue… à condition de ne pas créer encore plus de soucis !

Ici, le principal souci vient de ce que cette réforme n’est pas obligatoire. Un certain nombre de mots auront donc deux orthographes. D’ici peu vont jaillir des incompréhensions entre ceux qui auront appris la vieille orthographe et ceux qui auront appris la nouvelle. Ma crainte est que se crée une éducation nationale à deux vitesses : aux établissements huppés l’ancienne orthographe, pseudo-gage d’intelligence, aux établissements défavorisés la nouvelle.la connaissance de l'orthographe devenant ainsi un marqueur social de plus.

Dans une France qui prône Liberté, Egalité, Fraternité, il ne devrait exister qu’une seule orthographe enseignée à l’école.

lundi 8 février 2016

Chère Elena




Il m’a été donné d’assister à des rencontres avec des écrivains, jamais encore avec des acteurs. Jeudi soir, au Théâtre Montansier à Versailles, merveilleuse surprise, un « bord de scène » est prévu avec les interprètes de Chère Elena.



Cette pièce écrite par Ludmilla Razoumovskaïa est résumée ainsi :

Armés d’un bouquet de fleurs et d’un cadeau, quatre jeunes se présentent chez leur professeur pour lui souhaiter son anniversaire. En réalité, leur sombre dessein est de récupérer la clé du casier dans lequel se trouvent leurs copies d’examen.  Son refus d’accepter le marché plonge Elena dans une nuit de cauchemar au cours de laquelle, face au chantage, elle oppose sa morale et sa croyance dans des idéaux d’humanisme et d’exemplarité.


Elena est jouée par Myriam Boyer, grande actrice au formidable parcours, deux fois couronnée d’un Molière, et entourée de quatre jeunes acteurs qui étincellent.

La pièce est dure, l’opposition entre ces jeunes qui aspirent « à vivre, non à survivre » et ce professeur aux croyances profondément ancrées va tourner à l’affrontement, dériver vers la violence, et aucun d’entre eux n’en sortira indemne. Pas plus que les spectateurs.


Voici quelques critiques glanées sur Internet :



Par parenthèse, si la monstruosité des lycéenes est bien soulignée, aucune critique ne mentionne le côté monstrueux d’Elena, tapi sous sa formidable humanité : elle est incapable d’imaginer que les idéaux qu’on lui a inculqués et qu’elle a tenté de transmettre puissent avoir été pervertis, et que la société qui a été construite soit devenue injuste. Elle fait preuve d’un certain aveuglement…

La rencontre fut un grand moment. Débarrassés de leurs costumes, redevenus eux-mêmes, les acteurs se sont prêtés avec grâce et gentillesse au jeu des questions réponses. Le public encore secoué par l’âpreté de ce huis-clos s’est intéressé au vécu de ces jeunes comédiens terriblement prometteurs et qui ont répondu avec une grande maturité aux questions.

Comment trouver le ton juste pour exprimer les sentiments ? C’est grâce à la direction d’acteurs, merci Didier Long. Et j’ajouterais : c’est à ça que servent les lectures, les répétitions, le travail cent fois remis sur l’établi. Les acteurs sont des artisans.
Commet jouer ces scènes violentes sans s’y brûler les ailes ?  Le metteur en scène et nous avons beaucoup parlé, le travail s’est déroulé dans un climat de gentillesse, pas dans un climat de recherche dans la douleur.

Chacun de ces « p’tits jeunes » a raconté comment il apprend son texte (Myriam Boyer n‘a pas souhaité répondre à cette question), et quatre méthodes sont apparues, du plus cérébral, cherchant des relations de cause à effet entre les répliques, au plus instinctif, qui apprend son texte en marchant, montrant involontairement le côté très personnel de ce métier.

Le seul point sur lequel ils n’ont pas encore pu répondre, c’est sur leur façon de vivre en tournée puisque cette représentation marquait le début pour eux… Myriam Boyer a raconté avec subtilité tout ce qu’il y a d’attente dans la vie d’acteur, entre le moment où on se lève et celui ou on est sur scène, et comment la tournée, en les éloignant de leurs familles, accentue cette attente.

La rencontre a du durer une demi-heure, ce fut une sorte de temps suspendu, un joli cadeau dont on aimerait faire durer le plaisir, mais les meilleures choses ont une fin hélas…

J’aimerais dans ces lignes leur dire merci de leur spontanéité, leur souhaiter une longue vie sur les planches, puisse-t-ils devenir à leur tour des Myriam Boyer transmettant à de nouvelles générations la joie qu’il y a à interpréter de beaux textes.