mercredi 9 novembre 2022

Eté 2022: lu... et aimé !


Bon, faut bien l'avouer je suis en retard. Très en retard. Je me l'étais pourtant promis juré: un post par mois, résumant mes lectures du mois précédent. J'ai tenu un peu, jusqu'à mai. Puis, paf ! Relâchement de l'effort. Je sais bien, ma promesse personnelle ressemble à une résolution du nouvel an. Ce n'est pas faux d'ailleurs. Mais là, il me semble qu'il est temps de rattraper le temps perdu, si c'est possible. Voici donc, au milieu de l'automne, le bilan de mes lectures de l'été. Mais sachez chers mais lecteurs, que je ne partage pas le concept de "roman d'été", "lecture de plage" ou que sais-je. L'été, j'ai du temps et donc je lis aussi, voire surtout, des livres un peu exigeants. Vous pouvez donc piocher sans a-priori dans ma liste, si par hasard vous n'avez pas lu ces romans ! 

 

Moi Tituba sorcière, Maryse Condé

Depuis qu’elle a reçu le Nobel alternatif en 2018 (https://www.lefigaro.fr/livres/2018/10/12/03005-20181012ARTFIG00211-maryse-conde-remporte-le-prix-nobel-de-litterature-alternatif.php), j’avais une grande envie de lire cette autrice. Le hasard d’un poche trouvé en chinant dans une librairie a fait le reste. Ce roman imagine la vie d’une personne ayant réellement existé, Tituba, esclave d’un pasteur de la ville de Salem et mêlée à l’affaire des sorcières de Salem.

Un roman dense, imprégné d’une culture qu’on pourrait qualifier (par incompréhension) de superstitieuse, des personnages profonds, la description de conditions d’esclavage épouvantables, une écriture qui vous prend et ne vous lâche plus, il y a dans ce texte tous les ingrédients d’un grand livre.

Dernier restaurant avant la fin du monde, Douglas Adams

C’est le tome du Guide du voyageur galactique, toujours jouissif, pour ceux quiu aiment l’humour anglais ! Perso j’accroche à fond.

D’un monde à l’autre, Frédéric Lenoir et Nicolas Hulot

Pas forcément un grand moment de littérature mais j’ai envie de m’arrêter un peu sur cet essai : une discussion entre Lenoir et Hulot, au sujet du monde et de l’urgence climatique. Publié en 2020, imprégné de ce que les confinements nous ont fait subir, ce livre propose des réflexions intéressantes et… beaucoup de réflexions déjà datées ! Qu’il s’agisse de l’espoir placé dans les politiques, qui n’ont à ce jour pas fait la démonstration d’une réelle prise de conscience, de la difficulté à concilier écologie et lutte contre la pauvreté, ou de la réalité de l’urgence, les 2 années passées, avec des été caniculaires et des sécheresses terribles, avec la guerre en Ukraine et ses conséquences, ont rendu leur discussion un peu obsolète. Et cela m’a attristée.

Connemara Nicolas Mathieu

On ne va pas se mentir, je suis une fan de Nicolas Mathieu. J’ai lu Connemara presque dans un unique souffle, dans un unique élan. Trop besoin de savoir ce que ces personnages en quête d’eux-mêmes vont faire, dire, là ou ils vont échouer et là où ils vont réussir. Les illusions perdues aurait pu être un bon titre pour ce roman. On retrouve l’écriture subtile de l’auteur, qui s’adapte au(x) personnage(s) présents dans la scène, qui traite les « petits » aussi bien que les « grands ». Un formidable moment de lecture !

J’irai cracher sur vos tombes, Boris Vian

De Vian je n’avais lu que l’écule des jours, au lycée, et je n’y avais rien compris. J’étais curieuse d’en connaître un peu plus de lui et… quel choc ! Dans ce roman très noir, un métis à la peau blanche se venge en détruisant des blancs du lynchage de son frère. C’est d’une violence inouïe (pourrait-on d’ailleurs encore écrire ces scènes de viol aujourd’hui ?), implacable, et pourtant… on se prend à comprendre le désespoir et la haine du héros. On ne peut pas sortir indemne de ce roman.

Nom, Constance Debré

L’autrice est née dans une famille avec un sacré poids ! Un père journaliste (presque le raté de la tribu), un grand-père ministre de De Gaulle (et un autre ministre à Vichy puis résistant), deux oncles ministres, des médecins en pagaille, tout cela a de quoi vous écraser ! Et elle étouffe ! De plus, il y a bien d’autres aspects étranges dans sa famille. Ce récit est celui d’une quête d’identité, comment devenir soi quand tout le monde vous assigne à être ceci ou cela. Et pour Constance Debré, c’est passé par des choix radicaux, une vie qui est devenue marginale, une remise en cause totale. Elle balance toute cette histoire dans Nom, avec un sens de la provocation bien maîtrisée, et une écriture qui a l’air d’être « comme on parle » mais qui parait être très travaillée.

L’espion qui venait du livre, Luc Chomarat

Un espion de romans, macho, raciste, beau mâle blanc, hybride de OSS117 et de James Bond, se trouve un jour face à … son éditeur, qui tente de lui expliquer que le livre a changé, que les lecteurs attendent autre chose et que… lui aussi devrait changer. Une sorte de pastiche avec des moments totalement absurdes ou l’espion, simple personnage de roman, parle avec son auteur ou avec son éditeur, refusant obstinément de se remettre en cause, et poussant ses interlocuteurs à leurs limites… S’il y a quelques faiblesses par moment, c’est rigolo, caustique, inhabituel et j’ai bien aimé me changer les idées avec ce roman.

La félicité du loup, Paolo Cognetti

Quelques saisons en montagne, dans une petite station de ski. Un homme dans la quarantaine, une jeune femme, tous deux dans un temps suspendu de leurs vies, vont vivre une histoire d’amour intense dans un univers de montagne avec sa rudesse, sa beauté, son attirance et ses dangers, son absence de pitié. Un roman intense, ou les hommes se confrontent à la montagne qu’ils aiment et respecte, et se confrontent à eux-mêmes.

Le liseur du 6h27, Jean-Paul Didierlaurent

Le pilon, j’en avais entendu parler, mais le voir décrit ainsi, comme un animal doué d’intentions, dévoreur de livres, m’a impressionnée. Heureusement il y a Guylain Vignolles, qui lit à voix haute des pages dans son train du matin, le 6h27. Et ses groupies, des personnes qui montent dans son wagon pour l’écouter. Et ces textes qui le troublent, écrit par une femme, dame-pipi, qui décrit sa vie dans un journal avec un sensibilité qui émeut notre héros. Il va se lancer dans une quête improbable, aidé par des personnages secondaires attachants, très réussis.

Paru en 2014, j’avais beaucoup entendu parler de ce livre, mais il a fallu 8 ans pour que je le lise enfin. Je ne sais pas pourquoi, bien sûr. Peu importe, j’ai beaucoup aimé cette lecture, vibré avec Guylain Vignolles, souri à ses succès, eu le cœur pincé de ses échecs, bref je me suis prêtée au jeu !

mardi 11 octobre 2022

Qu'est-ce qu'un livre ?

Il y a quelques jours, @lelibrairesecache sur Twitter a publié une des ces anecdotes dont il a le secret :

J’eus l’impudence (l’imprudence ?) de répondre « Un premier achat avec sa CB: des livres ! Elle ira loin cette petite ».  Quelqu’un que je ne connais pas s’est alors ému :


Après examen, il semblerait que c’était une blague de la part de Tintin, mais cela m’a fait réfléchir à cette question : qu’est-ce qu’un livre ?

J’ai grandi à une époque ou un livre, c’était un ensemble de pages reliées avec du texte. La BD était considérée comme un genre sympathique, rigolo, divertissant, mais pas encore comme une culture (je vous parle d’un temps… hein !).

Déjà à l’époque, il existait un clivage entre les personnes qui lisaient, et ceux qui se plongeait dans les romans de gare. Entre la littérature et le reste. On est d’accord, ce clivage persiste.

Depuis quelques années sont apparus ou se sont développés beaucoup de nouveaux genres littéraires (et pardon d’avance à ceux que je vais oublier)

ü  Les livres pour adolescents, très bonne nouvelle car à mon époque il n’y avait que Alice de Caroline Quine ! J’ai adoré à l’époque, mais avec le recul, c’est gentillet…

ü  La chick lit, pas trop mon genre mais si cela donne à des personnes le goût de la lecture, c’est super

ü  Les romans feel good, qui rencontrent un franc succès. J’en ai lu sans savoir que c’en était, comme Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, par Mary Anne Schaffer et Annie Barrows. Dans tous les genres il y a du bon et du mauvais, de mon côté je lis en ce moment beaucoup de livres qui traitent de fins du monde plus ou moins apocalyptiques, donc vous sentez bien que ce n’est pas trop ce que je cherche comme littérature. Cela dit, même commentaire que pour la chick lit.

ü  Les polars de ma jeunesse, avec une enquête style Hercule Poirot ou commissaire Maigret, ont progressivement fait place aux thrillers, de plus en plus noirs, avec des tueurs qui commettent des crimes de plus en plus sordides, ou révoltants, ou cauchemardesques. J’en ai lu de très bons, je pense par exemple à Au-delà du mal de Shane Stevens, puis je m’en suis éloignée à cause de l’escalade dans l’horreur à laquelle les auteurs se sentent obligés.

ü  Le roman steampunk, dont @schaptal parle régulièrement sur son blog https://www.outrelivres.fr/. Là encore pas trop mon genre, mais parfois je m’y plonge avec bonheur

ü  Les mangas, art japonais assez ancien, très ancré dans la culture japonaise moderne, et rencontrant un franc succès sous nos latitudes.

ü  Le roman graphique. Si je ne suis pas fan de l’adaptation en roman graphique d’œuvres littéraires (j’aime en avoir ma propre représentation mentale), j’ai lu quelques très beaux romans graphiques, comme Le poids des héros de David Sala

Pourquoi vous ai-je emmenés dans ce voyage au cœur des genres littéraires et des genres de livres ? Tout simplement parce que, cher lecteur, j’aimerais te faire toucher du doigt le fait que peut-être comme moi certains genres ne te plaisent pas, mais tu leurs reconnais quand même le statut de livres. Nous leur donnons une place dans la culture commune, en particulier dans la pop culture, concept nouveau qui permet de donner une reconnaissance à de multiples formes d’expressions artistiques accessibles à tous, sans élitisme. Dans cette définition, le manga, parce qu’il touche ses lecteurs, leur fait éprouver toutes sortes de sentiments et leur offre de s’évader du quotidien, peut être considéré comme un livre.

Car après tout, qu’est-ce qui est important pour notre grande communauté de lecteurs ? Sans aucun doute nous aimons partager notre enthousiasme pour tel ou tel roman, tel ou tel essai, et sommes toujours ravis d’en parler, et parfois de convaincre quelques personnes de les lire (c’est un des objets de ce blog d’ailleurs). Mais si nous plongeons tout au fond de notre cœur, peut-être trouverions-nous une motivation plus intime, plus prégnante : voir quelqu’un, un proche, un membre de la famille, un inconnu dans le métro ou le train, tourner des pages pour suivre une histoire est un plaisir, une image qui nous transporte, un lecteur de plus dans notre immatérielle communauté !



 

mardi 4 octobre 2022

les naufragés du métaverse, par Anke Feuchter

 


Le métaverse peut enthousiasmer devant l’immense éventail d’expériences qu’il offre, ou inquiéter car il est capable de vous happer complètement, une addiction dont les prémisses existent déjà avec nos smartphones.

Pour Anke Feuchter, c’est bien un sujet d’inquiétude, qu’elle développe à travers des personnages qui occupent toute la palette des attitudes face à la technologie, du rejet complet à l’immersion complète.

Voici comment est présenté ce roman :

«Les autofictions dont j’étais créatrice et objet, actrice et metteuse en scène, finissaient vite par prendre les rênes de ma vie. Je m’étais ligoté pieds et mains. Nageant dans un bonheur narcissique, je n’en savais rien.» Nous sommes en 2039. La révolution du Métaverse a alors bien eu lieu. Comment retrouver le chemin vers son corps et une vie ‘vraie’ quand on a cédé aux promesses d’un monde où le sublime serait accessible à tous ? Où tout se choisit - jusqu’au moment de réaliser que la liberté sans fin n’est autre qu’une prison sordide ne connaissant que la loi du marché. Le pari d’Océane, la quadragénaire noyée dans le monde du paraître, et d’Yvon, de vingt ans son aîné et loin du Métaverse, sera celui-ci : chercher la reconnexion avec un monde et une nature devenus hautement fragiles.

En 2039, dans la vision de l’autrice, d’autres révolutions que celle du métaverse ont eu lieu. Ainsi, le monde est ravagé par la pollution et le dérèglement climatique, les humains doivent toujours faire face à des virus…

Les personnages mis en scène ici sont très humains, au sens où chacun vit avec ses certitudes, ses doutes, ses peurs. Ils font face du mieux qu’ils peuvent, avec toutes les faiblesses humaines, et finiront par découvrir les vertus de l’entraide, de la reconnexion à son corps et à la nature.

Polyphonique, le texte nous permet de « rentrer » dans la tête des protagonistes, leur histoire, et tout ce qui fait qu’ils en sont aujourd’hui… ou ils en sont. Et en chacun d’eux se trouve un peu de nous tous.

Un récit puissant, une écriture fine et travaillée accompagnent le lecteur sur un chemin qui pourrait être aussi le sien, si par hasard il découvrait grâce à sa lecture que sa propre attitude face à la technologie moderne a des effets négatifs.

Voici donc un roman en phase avec son époque et ses risques, qui interpelle et qui aide à réfléchir, tout ce qu’il me faut en ce moment, et peut-être ce qu’il vous faut, amis lecteurs ?

C’était mon #mardiconseil du 4 octobre 2022 😉