mercredi 24 avril 2019

Tops et flops de lectures avec un bras cassé


Un bras cassé et une élongation à la cuisse opposée, ça calme. On se retrouve avec du temps, beaucoup de temps… Alors je lis. Pas seulement, j'eesaie de trouver d'autres activités, mais je lis plus que d’habitude. Voici donc un premier aperçu de mes tops et mes flops de lecture, il pourrait y en avoir un autre… 



De si bons amis, Joyce Maynard

Une femme divorcée, séparée de son enfant trouve refuge auprès de généreux mécènes qui deviennent ses amis. Au point d’envahir toute sa vie…
Je me suis plongée dans ce roman choisi sur les conseils (forts avisés) de ma libraire avec délices ! On suit avec tristesse l’héroïne, dont la vie est faite de drames et de choix hasardeux, se lancer avec enthousiasme dans une relation qu’on devine toxique… tout en se demandant d’où viendront les mauvais coups. L’autrice distille le poison petit à petit et intoxique ses lecteurs. Je l’avoue : je n’ai pas vu venir l’embrasement ! Le roman ne s’achève pas sur une happy end facile, il entrouvre juste quelques portes… 

Et leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu

D’habitude je me méfie du Goncourt. Je laisse passer du temps, pour voir comment les choses se stratifient, et si on continue à en parler. Cette fois-ci j’ai été attirée, je n’ai pas voulu attendre et je ne l’ai pas regretté !
Ces trajectoires d’adolescents devenant de jeunes adultes dans une petite ville de l’Est victime de la désindustrialisation ont quelque chose d’inéluctable, comme si une sorte de fatalité pesait sur eux. Et comment ne pas penser à la crise des Gilets Jaunes ? 20 ans au début des années 90, environ 45 aujourd’hui, déclassés par une économie avide d’argent et qui se désintéresse des individus, les héros de ce roman ont tout pour devenir les rebelles d’aujourd’hui…
Mais comme l’auteur n’est pas un prophète, et a fini ce texte bien avant la crise, n’oublions pas de louer la justesse du témoignage et la finesse du style : il écrit « comme on parle » dans les dialogues sans oublier de travailler le texte quand c’est le romancier qui narre, avec beaucoup de subtilité.
Enfin, j’ai été agréablement surprise par la présence des corps dans ce roman, Nicolas Mathieu explore les sensations corporelles, les résonances physiques es émotions. Osons un cliché ;: cela donne de la chair au récit !

Titus n’aimait pas Bérénice, Nathalie Azoulay

Un Titus contemporain quitte une Bérénice, prétexte inutile à une biographie de Racine tout-à-fait passionnante, enfin pour moi qui ne connaissais rien à ce dramaturge.
Dommage que Nathalie Azoulay ait utilisé un subterfuge un peu prétentieux et un titre  qui n‘a rien à voir avec l’essentiel du texte. 

Salina, Laurent Gaudé

Le texte est du Gaudé pur jus, avec la mort, le récit d’une vie et d’une mort par d’autres, la scansion, l’Afrique (suggérée), un rien de mythe antique. Il y a dans ce roman tout ce qui fait qu’on a aimé Laurent Gaudé, celui de La mort du roi Tsongor et de Pour seul cortège. Mais comment ne pas cacher un peu de lassitude, devant l’impression que l’auteur se répète ? 

Illettré, Cécile Ladjali

Commencé par attrait pour le sujet, le parcours d’un jeune homme qui ne sait ni lire ni écrire. Pas fini : la déception est vite apparue au fil des pages. La romancière n‘a pas su se hisser à la hauteur de son sujet, usant du subjonctif et de mots érudits pour parler d’un homme qui hélas ne l’est guère… La dissonance entre le sujet et le récit m’ont très vite été insupportables.

L’artiste au couteau, Irving Welsh

Quand je suis en vrac, j’aime lire du polar. Ici il s’agit plutôt d’un roman noir : le passé de délinquant violent resurgit à la face d’un homme devenu artiste. Il ne trouvera le salut que dans une nouvelle explosion de violence.
Un récit bien ficelé, qui vous happe et vous tient en haleine, mais trop de violence. J’ai de plus en plus de mal avec ces films et ces livres ou on tue impunément, le meurtre est une chose trop grave pour qu’on donne le sentiment au lecteur qu’il suffit de sauter dans un avion pour échapper à tout châtiment.

mercredi 10 avril 2019

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, Salman Rushdie


Lorsque j’ai vu ce livre sur une table de libraire, j’ai pensé que je n’avais jamais rien lu de Salman Rushdie, et qu’une variation sur le thème des mille et une nuits (vérifiez, deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, ça fait le compte) était une idée sympathique. 

J‘ai été déçue par ce roman : s’il est bourré d’idées formidables, comme celle du personnage sur lequel la gravité n’agit plus et qui flotte au-dessus du sol, le récit me semble assez raté. Rushdie raconte sans décrire, ce qui donne des chapitres qui évoquent des malheurs épouvantables s’abattant sur l’humanité sans dire lesquels. Ces malheurs restent bien abstraits… 

Mais alors pourquoi un billet sur ce livre, me direz-vous ? Parce que j’ai relevés quelques passages qui m’ont donné à réfléchir, et que j’avais envie de partager ces pensées avec vous. Citations, donc !

Ce qui lui arrivait était impossible mais cela lui arrivait bel et bien et donc c’était possible. La signification des mots possible, impossible, était en train de changer. La science avait-elle une explication ? La religion ? L’idée qu’il existait peut-être ni explication, ni remède était une hypothèse qu’il n’avait pas envie d’envisager. Il entreprit de se plonger dans les ouvrages ad hoc. Les gravitons étaient des particules élémentaires dépourvues de masse qui exerçaient on ne savait comment une attraction gravitationnelle. Peut-être pouvait-on les fabriquer ou les détruire, auquel cas s’expliquerait l’augmentation ou la diminution de la force gravitationnelle ? Voilà ce qu’il avait retiré de la physique quantique. Sauf que P.S., il n’y avait aucune preuve de l’existence réelle des gravitons. Merci physique quantique, pensa-t-il, tu m’as été d’un grand secours

Et bien moi qui ai fait des études technico-scientifiques, j’ignorais que l’attraction gravitationnelle n’était pas démontrée. L’expérience est cohérente avec la théorie, les calculs permettent de démontrer ce qu’on observe mais on ne sait pas comment un corps doté d’une masse peut en attirer un autre. Ce mystère qui m’avait échappé m’est révélé par la littérature, quelle merveille !

Méfiez-vous de l’homme (ou du djinn) d’action quand il finit par vouloir s’améliorer par la pensée. Un peu de pensée est chose dangereuse.

C’est parce qu’ils ont compris cela que les dictateurs contrôlent l’éducation : pour donner le moins d’outils possible à leur peuples pour penser par eux-mêmes ! C’est pour la même raison que les sociétés qui assignent une place réduite aux femmes évitent de leur donner trop d’éducation. Oui un peu de pensée est chose dangereuse pour ceux qui veulent le pouvoir. Et c’est chose délicieuse pour ceux qui en usent !

Cette histoire parle de notre passé, d’une époque si lointaine qu’il nous arrive parfois de nous disputer quant au fait de savoir si on doit l’appeler histoire ou mythologie. Certains d’entre nous parlent de contes de fée. Mais il est un point sur lequel tout le monde est d’accord : raconter le passé, c’est aussi raconter le présent. Raconter quelque chose d’imaginaire, c’est aussi raconter la réalité. (…)

Ici le texte est écrit comme si un personnage non identifié s’adressait au lecteur, un djinn, un humain ou un de ces êtres hybrides né des amours de la djinnia Dunia avec Ibn Rushd. Mais on peut aussi le lire comme une profession de foi de l‘auteur, comme une réflexion sur le rôle du romancier ou sur la place de la littérature. Il me semble que tous les auteurs pourraient graver cette maxime au-dessus de leur bureau : Raconter quelque chose d’imaginaire, c’est aussi raconter la réalité. A rebours complet de ce genre littéraire appelé exofiction, ou roman sans fiction comme se plait à l'appeler Javier Cercas, et dont j'ai déjà dit sur ce blog à quel point je n'y accroche pas.

(…) elle persistait, comme l’eût fait toute mère, à vouloir retrouver ses enfants dispersés, ils étaient tout ce qui lui restait de l’homme qu’elle avait jadis aimé.

A ce stade de ma lecture, j’ai sursauté : Rushdie me semble bien mal connaitre l’âme des mères ! Pour commencer, il faut se méfier des généralités : « toute » mère ? Mais si nous avons toutes en commun d’avoir enfanté, nous sommes toutes différentes par notre histoire, notre culture et nous construisons des relations particulières avec chacun de nos enfants. Ensuite, beaucoup de mères dont je suis pensent que leur rôle est d’amener leurs enfants à prendre leur envol et mener leur vie, ce qui veut dire les laisser se disperser. Enfin, beaucoup de mères dont je suis voient en leurs enfants d’abord des personnes à part entière, avec leur individualité, et surtout pas comme une réminiscence de leur père ! 

Et voici comment, à l’issue d’une lecture qui m’a amenée à réfléchir, je reste sur la note amère d’un auteur qui n’y entend pas grand-chose aux femmes.

jeudi 4 avril 2019

parler la bonne langue



Dans cet article (réservé aux abonnés), Télérama est tout content de constater que dans les séries actuelles, les personnages parlent… la langue de leur personnage. L’auteur souligne combien les séries gagnent en crédibilité grâce à cela, et il a bien raison !

Il me revient des souvenirs d’un temps lointain ou la sortie d’un film turc avait fait polémique. C’était en 1982, le film s’intitulait Yol et tout ce que la France comptait d’intellectuels s’enthousiasmait pour cette œuvre… à condition de la voir en VO sous-titrée. Je passais le bac et avait donc d’autres chats à fouetter, mais je trouvais incroyablement snob cette démarche.

Comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, je crois que si le film sortait aujourd’hui j’irai le voir en turc et en kurde.

Le déclic s’est produit grâce au film Land and Freedom de Ken Loach. Inspiré par Hommage à la Catalogne de George Orwell, ce film suit l’itinéraire d’un militant trotskiste qui s’engage dans la Guerre Civile espagnole. Une scène m’a marquée : son unité vient de prendre une ferme, et tous se réunissent dans la salle pour décider de ce qu’ils vont faire. Ils parlent espagnol, la langue qui les lie, mais chacun avec son accent : allemand, italien, français, anglo-saxon… En VF, la scène aurait perdu de sa force, de sa vérité.

Depuis, je regarde autant que possible les films et séries en VO, surtout quand c’est une langue que je connais. Et d’autres ! Je viens ainsi de regarder la série Dark en allemand. La sonorité de la langue a une sorte d’équilibre avec les images, et l’esprit tout entier de l’œuvre. Sans comprendre les mots, on plonge malgré tout dans l’état d’esprit des personnages. J’ai juste été agacée, comme pour La casa de papel, que la chanson du générique soit en anglais.

Toute langue connait des variations, ce sont les patois et les accents. J’ai déjà évoqué la disparition des accents dans un billet de  2016, depuis rien ne s’est arrangé. Alors pour que les films et séries français soient tout à fait crédibles, il reste un effort à faire !