mercredi 28 août 2013

Compte-rendu de mes lectures de l’été


Comment ça se passe, vos lectures de l’été ?

A l’ombre d’un parasol, un verre à la main ? Sur la plage ? Le soir, à la fraiche ?

De mon côté, vous vous en doutez, c’est un peu n’importe quand, n’importe comment… Cet été il y a eu plusieurs variantes. Pendant une semaine de canicule en Haute-Garonne, version campagne, des heures de lectures à l’ombre des arbres, l’après-midi, en attendant un hypothétique rafraichissement de l’air. Puis il y a eu une période de montagne et randonnée, avec lecture dans les trous entre deux balades, pour laisser les jambes se détendre. Enfin, une semaine chez moi, bricolage, cuisine, balades en vélo et… lecture, bien sûr ! 

il manque un livre... déjà prêté... à ma fille :-)


Au bonheur des Dames, Emile Zola

Je suis une fan de Zola. Très intéressée par son grand projet des Rougon-Macquart : étudier comment la folie de l’ancêtre, Adélaïde Fouque, se transmet de génération en génération, se modifiant mais toujours présente. Sa description impitoyable de la société de son époque rajoute une dimension passionnante dans ses romans.

Dans celui-ci, on retrouve Octave Mouret, dont l’ascension a débuté dans Pot-Bouille. Il est devenu le créateur d’un grand magasin tentateur, qui rend folles les femmes en les attirant vers des articles dont elles n’ont pas vraiment besoin.

Hélas, j’ai été déçue par cette lecture. Tout Zola est là : son style, ses préoccupations sociales, ses formidables descriptions, et pourtant…  En faisant du magasin  son personnage central, il oublie Octave Mouret, qui bénéficie d’une sorte de tendresse coupable de l’auteur : ce Rougon-Macquart travaillé par l’argent et les femmes ne chutera pas à la fin du roman, ne sombrera pas dans la folie, et même obtiendra l’amour de celle qu’il a attendu pendant des années.  Cette fin presque trop romantique ne sied guère à notre Zola.

Mais rendons-lui grâce d’avoir fait du Bonheur des dames une incroyable machine à broyer les volontés des acheteuses. Ce commerce « moderne »  est toujours le nôtre, sachant nous faire croire que nous avons un réel besoin de ce nouveau (manteau) (parapluie) (mouchoir) (foulard) alors que, au fond… Bref, le commerce est toujours une fabuleuse machine qui exploite nos travers.

El ultimo lector, David Toscana

Voir la critique de Chalipette sur son blog, c’est elle qui m’a donné envie de lire ce roman et elle est… pertinente, tout simplement. Cliquer ici.

Ma vie chez les Sioux, Fanny Kelly

Je lis essentiellement (et même presque exclusivement) du roman. Alors quand j’ouvre un témoignage, un récit, un essai, j’ai parfois du mal. Dans ce livre Fanny Kelly fait le récit de sa vie parmi des Sioux après son enlèvement, en juillet 186…. alors qu’elle se rendait vers l’Ouest au sein d’une petite caravane brusquement attaquée. Pendant cinq mois, elle vécut captive chez ces Indiens, souvent maltraitée, toujours apeurée, mais tentant de comprendre les « sauvages » auxquelles elle devait se soumettre.
Je suis passionnée, je devrais dire fascinée, par la culture indienne. Les cultures même, puisqu’il existe de nombreuses nuances d’un groupe à l’autre, voire de grandes différences entre les indiens des forêts de l’Est et ceux de Grandes laines. J’ai lu pas mal d’ouvrages récents, des romans écrits par des amérindiens, des essais écrits par des indiens d’aujourd’hui.

La richesse du livre de Fanny Kelly vient de ce qu’il a été écrit juste après les événements qu’il relate, à une période ou blancs et rouges se connaissaient mal, ne se comprenaient pas, et se faisaient la guerre. Incontestablement une période difficile. L’héroïne est une toute jeune femme, croyante fervente qui recommandera son âme à Dieu de nombreuses fois. D’esprit ouvert, elle reste néanmoins fortement imprégnée par se culture, persuadée de la supériorité de mode de vie de la race blanche, et convaincue d’avoir affaire à des monstres.

Son point de vue et son récit sont passionnants, ils font toucher du doigt l’abîme qui séparait les deux civilisations en présence, et montrent à quel point toute communication était impossible. Le regard que chacun porte sur l’autre est marqué pas ses propres croyance, sa vision du monde.

Fanny Kelly a connu un véritable calvaire. Elle a perdu lors de cet enlèvement sa fille adoptive. Elle a eu peur, froid, mal. Mais elle ne tire pas de morale de ce parcours. Elle raconte, pour dire aux autres, et ne semble pas envahie par la haine ou la soif de vengeance. Cela donne à son récit une force étonnant.

Calligraphie des rêves, Juan Marsé

Quel beau titre ! Et pourtant… j’ai mis longtemps à me décider. Il faut dire que j’avais lu trois livres de cet auteur : des lézards dans le ravin, un jour je reviendrai, et les nuits de Shanghai. J’avais trouvé qu’il racontait toujours un peu la même histoire : des adolescents dans les années d’après-guerre civile à Barcelone, avec des pères (ou des figures paternelles) absents.

Deux personnes m’ont incité à lire ce roman : Martine, lectrice du canal hispanophile, et mon père, qui est revenu à la charge deux années de suite. Et bon, je dois le dire, ils ont eu raison. Formidable ce livre ! Une écriture fluide, légère même pour décrire un quotidien lourd, poétique, fine… J‘ai corné plein de pages de mon édition de poche. Ça veut dire que j’ai relevé plein de phrases ou de passages à partager avec vous, dans une rubrique du genre « petits bonheurs de lecture ».

De quoi ça parle me direz-vous ? Un jeune adolescent, Ringo, est élevé par des parents adoptifs dans la Barcelone de l’après-guerre civile. Il est apprenti joaillier, rêve d’être pianiste, mais un accident lui fait perdre un doigt et réduit ses rêves à néant. Il s’y accroche néanmoins, ainsi qu’à l’envie d’écrire. Errant dans son quartier, Gracia, il observe les habitants et leurs extravagances, et les déshérités qui y passent. Les absences mystérieuses de son père, chasseur de rats bleus, sont pour lui une énigme.

Ce roman est le plus autobiographique de Juan Marsé, qui refuse d’écrire sa propre histoire, disant que tout est dans ses textes. En particulier, l’épisode fondateur de l’ »adoption » du petit héros est tiré de sa propre vie et éclaire toute son œuvre d’un jour différent.

Ringo vit sous nos yeux une trajectoire initiatique, celle qui le fera passer du monde doux de l’enfance à celui, forcément très dur en ces temps de dictature, des adultes. Ses rêves, ses maladresses, ses doutes le rendent attachant et font de lui un personnage fort, qu’on n’a pas envie d’oublier.

Je ne m’appesantis pas plus : vous l’aurez compris, ce livre devrait absolument faire partie de votre liste à lire !

A ce stade de ma pérégrination estivale, j’étais rentrée chez moi. Un livre que j’ai reçu en cadeau pour mon anniversaire m’attendait, et m’a tentée. J’ai donc laissé de côté la couleur des sentiments de Kathryn Stockett et Cinq semaines en ballon de Jules Verne pour m’y consacrer. Que ces deux romans me pardonnent, je les lirai ensuite ! Et voici donc…

La fabrique des livres, Erik Orsenna

Ici encore un joli titre, et également une belle couverture illustrée comme tout le livre par Camille Chevrillon. Le résumé, écrit par l’auteur, me semble refléter juste ce qu’il faut le livre, sans trop en dévoiler :


« Comment fabrique-t-on les mots ?
Jeanne, l'héroïne de La grammaire est une chanson douce, a sa méthode : pour expliquer, elle raconte.

Il était une fois un dictateur qui trouvait son pays trop bavard. Il était une fois le Capitan, vieux navigateur et collectionneur de dictionnaires. Il était une fois deux soeurs virulentes, l'une aimant le grec et l'autre militante du latin. Il était une fois un trafiquant d'oiseaux rares. Il était une fois un café où les couples se réconcilient, au lieu de divorcer. Il était une fois une mine d'or abandonnée...

Nous avons créé les mots.
Et si les mots, à leur tour, nous inventaient ? »


Écrit comme un conte, voici un livre qui se lit tout seul et qui en quelques pages vous apporte… une grande bouffée d’air frais (et oui,  les mots, ça peut être rigolo, passionnant, enrichissant) et un petit bout de philosophie toute simple mais forte : une langue est un être vivant, qui s’ancre dans le passé mais s’enrichit chaque année de mots venant d’autres langues. Et c’est ainsi que nos mots et notre langue nous racontent.

Ce livre m’a d’ailleurs donné une idée ou deux que je compte développer dans un autre billet.

Et enfin je dois dire que je me suis sentie toute honteuse de découvrir qu’on dix ans, Erik Orsenna a écrit cinq livres consacrés à la grammaire et à la langue : la grammaire est une chanson douce, les chevaliers du subjonctif, la révolte des accents, et si on dansait ? pour finir par la fabrique des mots. Et dire que je n’en connaissais rien ! Il va falloir réparer cette grossière erreur.

Et voilà ! Les vacances sont finies. J’ai commencé hier Cinq semaines en ballon, et acheté deux livres à la boutique du musée des arts premiers, quai Branly à paris : Terres de crépuscule de J M Coetzee et L’empreinte du renard, de Moussa Konaté. Ils vont s’ajouter à ma monstrueuse pile à lire… (qui comme chacun sait est une étagère). Les affaires reprennent !



2 commentaires:

  1. excellents commentaires, écriture agile, pensée aprofondie, bravo...et je suis fort contant du commentaire sur marsé, j'ai bien fait d'insister

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  2. cet article est très bien redigé, agréable à lire, de bonnes analyses, très claires, qui doivent donner aux lecteurs qui ne connaissent pas envie de se plonger dans les pages en question. ( même Zola... )

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