La période des fêtes, c’est souvent le moment de faire un
bilan. Les années passées j'attendais janvier, et là, je ne sais pas pourquoi, j'ai eu envie de le faire dès décembre.
Cette année mon bilan est perturbé par une question qui m’a
été posée récemment à propos d’un livre qui a reçu un prix littéraire :
« est-ce qu’il apporte quelque chose ? » (L’auteur de cette
question se reconnaîtra 😉 ).
Le roman en question est magnifiquement écrit, par une
autrice qui travaille à l’extrême ses textes. L’histoire qu’elle raconte est
prenante, incontestablement. Mais au fond, ce livre ne va pas me laisser des
souvenirs prégnants. Juste une vague réminiscence. Parce que le sujet a déjà
été traité.
Alors j’ai repris la liste des livres lus cette année en me
demandant s’ils m’avaient apporté quelque chose. Sur une quarantaine de textes,
entre ceux lus juste pour se détendre, et ceux qui ne m’ont pas plu, il en
reste assez peu.
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Voici donc ces romans que je vous recommande chaleureusement
Le silence de Dennis Lehane
En cet été de 1974, à South Boston, quartier irlandais de
Boston, Mary Pat Fennessy mène une existence routinière. Un soir, Jules, sa
fille de dix-sept ans, ne rentre pas à la maison et sa trace disparaît dans la
chaleur moite de la ville. La même nuit, un jeune Noir se fait mortellement
percuter par un train dans des circonstances suspectes. Ces deux événements
sans lien apparent plongent les habitants de Southie dans le trouble. D’autant
que la récente politique de déségrégation mise en œuvre par la ville provoque
des tensions raciales et qu’une grande manifestation se prépare. Dans la
recherche effrénée de sa fille, Mary Pat, qui croyait appartenir à une
communauté unie, voit les portes se fermer devant elle. Face à ce mur de
silence, cette femme en colère devra lutter seule pour faire éclater la vérité,
aussi dévastatrice soit-elle.
Ce que ce roman apporte ? Il met en lumière les
relations tendues entre communautés, y compris celle des ces blancs pauvres que
la vie a broyés. Sans manichéisme, Dennis Lehane illustre combien la justice
est une notion complexe selon votre origine. Qu’il est aussi difficile d’être
la mère blanche d’une ado en rupture de banc dans une cité que d’être la mère
noire d’un jeune homme dans une ville raciste. Le résultat, c’est un roman très
noir, un polar ou l’enquêteur est la mère d’une disparue, un constat social
sans appel, une remise en question de rêve américain.
Une mention spéciale pour la
couverture, jaune comme les bus scolaires US et comme la bonne vieille série
noire Gallimard.
Une brève histoire de l’égalité de Thomas Piketti
Celui-là, j’ai mis six mois à le lire ! L’auteur
indique l’avoir écrit pour proposer un résumé de son travail aux personnes qui
ont du mal à lire ses autres livres. Mazette !
Cela dit, Cette compilation d’études extrêmement détaillées,
chiffrées, analytiques dresse un tableau de la situation mondiale en termes
d’égalité. Thomas Piketti y montre une marche assez inexorable du monde vers
plus d’égalité (entre les classes sociales, entre hommes et femmes, entre
personnes d’origines techniques différentes, entre les pays), une sorte de
tendance de fond mais hélas… qui va lentement. Qui a été mise à mal depuis les
années 80-90.
Illustré de nombreux graphiques, avec des données sourcées,
cet essai permet de comprendre bien des mécanismes d’évolution des sociétés.
L’auteur y fait de nombreuses propositions appuyées par le résultat
d’expériences menées dans le passé, et à la lecture, je me suis souvent demandé
si les hommes politiques d’aujourd’hui, avec leurs certitudes et leurs
affirmations péremptoires, ont la même hauteur de vue. La réponse est
clairement non.
Mon sous-marin jaune, Jon Kalman Stefansson
Un écrivain qui ressemble beaucoup à Jón Kalman Stefánsson
aperçoit Paul McCartney dans un parc londonien, en août 2022. L’ancien Beatles
est le héros de sa jeunesse, et le narrateur rêve de lui parler. Mais il lui
faut d’abord préparer cette conversation, trier ses souvenirs, mettre de
l’ordre dans l’écheveau d’émotions et de récits de toute sorte qu’il aimerait
partager avec son idole.
C’est donc à ce voyage dans le temps que nous invite Mon
sous-marin jaune. À commencer par l’histoire d’un jeune garçon qui apprend
au détour d’une phrase que sa mère vient de mourir.
Voilà un livre dont la lecture m’a régalée !
Raconté pour l’essentiel par le garçon, le récit est
construit sur une logique enfantine, implacable et imparable, qui donne lieu à
des réflexions pour le moins réjouissantes ou attendrissantes. Sa compréhension
du monde va vous désarçonner, chers futurs lecteurs, mais cette déstabilisation
va vous enrichir ! Un voyage dans le temps et l’espace, de la Mésopotamie
5000 ans avant JC à l’Islande, en passant par la Genèse et une vision du
christianisme tout à fait décoiffante.
La musique occupe une grande place, avec outre McCartney,
John Lennon, Johnny Cash, tout ce petit monde dans une voiture improbable. Ce
roman vous emmènera dans tant de situations, avec tant de loufoquerie et de
digressions comme en produit spontanément la pensée humaine, qu’il est bien
difficile de le résumer.
Il vous conviera aussi à une réflexion sur le sens de la vie
et sur la mort, sur le sens que chacun peut donner à sa vie, et sur
l’importance de la littérature pour construire sa vie. Dit comme ça, cela
pourrait sembler un peu rasoir, et bien non c’est jouissif !
Vous trouverez peut-être que 3 livres, ce n’est pas
beaucoup…
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Ouvrons donc une autre rubrique, celle des livres qui ont été tout de même un
bon moment de lecture :
Les guerres de Lucas, roman graphique de Bernard Roche et
Laurent Hopman
Juste parce que Star Wars, ça a quand même été un point de
bascule cinématographique pour beaucoup de personnes de ma génération, c’est
cool d’en savoir plus sur sa création.
La sentence, Louise Erdrich
Pas le roman le plus fort de Louise Erdrich à mon sens, mais
très ancré dans le monde d’aujourd’hui, avec l’évocation du COVID des
manifestations après la mort de George Floyd.
Je l‘avais choisi car il se passe dans une librairie, et que
j’admire Louise Erdrich. Mais en cherchant une sorte de convergence des luttes
entre le racisme à l’égard des african-americans et celui à l’égard des natives
americans, il me semble qu’elle passe un peu à côté de son sujet.
Le lecteur en apprend un peu sur les cultures amérindiennes,
mais elles sont tellement variées !
L’héroïne étant libraire, vous pouvez vous constituer au fil
du texte une belle liste de lecture 😉
Les secrets de Ciempozuelos, Almudena Grandes
La société espagnole des années d’après la guerre civile est
mal connue, et Almudena Grandes n’a cessé de l’explorer, à travers des romans
de grande ampleur. L’angle de vue choisi ici est celui d’un psychiatre espagnol
qui a fui l’Espagne pendant la guerre, fait ses études en Suisse et décidé de
revenir pour tester un nouveau médicament.
Il va se retrouver étranger dans son propre pays, ignorant
la profonde transformation impulsée par le régime franquiste, ce qui va créer
des situations délicates.
Le roman se déroule sous plusieurs temporalités
imbriquées : la fuite, la vie en suisse, la nouvelle vie en Espagne, ce
qui peut le rendre un peu complexe. Mais c’est dans les habitudes de
l’autrice !
J’y ai cependant pas mal appris, par exemple sur l’alliance
entre l’Église (plus profonde que je pensais) et le pouvoir, sur la lutte
implacable contre les ennemis de l’Espagne, et sur les traitements
épouvantables faits aux femmes.
Madelaine avant l’aube, de Sandrine Collette
C’est un endroit à l’abri du temps. Ce minuscule hameau, qu’on appelle
Les Montées, est un pays à lui seul pour les jumelles Ambre et Aelis, et
la vieille Rose.
Ici, l’existence n’a jamais été douce. Les familles
travaillent une terre avare qui appartient à d’autres, endurent en
serrant les dents l’injustice. Mais c’est ainsi depuis toujours.
Jusqu’au
jour où surgit Madelaine. Une fillette affamée et sauvage, sortie des
forêts. Adoptée par Les Montées, Madelaine les ravit, passionnée,
courageuse, si vivante. Pourtant, il reste dans ses yeux cette petite
flamme pas tout à fait droite. Une petite flamme qui fera un jour brûler
le monde.
Parce que la plume de Sandrine Collette, selon mes critères,
est exceptionnelle.
Et si vous le souhaitez, je peux dans un prochain post créer
une rubrique « les livres qui n’apportent rien ». Dites-le en commentaire !