vendredi 11 octobre 2013

les commentaires des amis



Vous venez d’écrire un texte, court, long, une nouvelle, un poème, qu’importe, vous venez d’écrire quelque chose qui vous tient à cœur.

Hésitant(e) vous décidez de le faire lire à un(e) ami(e), un compagnon (j’abandonne les deux sexes, pas drôle à écrire), votre frère ou votre sœur. Vous savez que cette personne aime lire, que c’est un(e) fin(e) lecteur (trice) dont vous appréciez les avis sur des livres que vous avez lu en commun. Je sais, je suis revenue à la mention des sexes. Passons.

Vous attendez des avis sur le style, la construction, la narration, vos personnages, la portée de l’histoire.

Et là, c’est souvent la catastrophe. Vous avez droit à des commentaires bateau, comme « je me suis senti imprégné de ton univers ». Mais ça peut encore passer… Le pire, ce sont les commentaires qui ont pour but de vous faire plaisir, et qui ratent leur but :

« ca se lit facilement ». Lecture entre les lignes : ton écriture manque de profondeur, ce n’est ni du Hugo ni du Camus.

« J’aime beaucoup, on dirait un scénario de film ». Ben non. J’ai écrit un livre, pas un film. J’ai écrit pour être lu, pas vu. Ça doit d’abord faire un livre, avant de faire un film.

« Je t’ai bien reconnu dans ce livre ». Vu les efforts que vous avez fait pour ne pas parler de vous, soit la personne vous connaît très mal,  soit elle est passée à côté du bouquin.

« Tu as mis longtemps à l’écrire ? ». Version alternative de « ça se lit facilement ». 

J'ai sûrement eu droit à d'autres de ces perles, mais je ne m'en souviens plus (merci la mémoire qui efface...)

Et vous, amis écrivains ou poètes amateurs, avez-vous eu de ces commentaires qui se veulent gentils et sont vexants ? N’hésitez pas, partagez-les !

mercredi 9 octobre 2013

Plaidoyer pour des réseaux sociaux sans pub



 En début de semaine, je lisais des articles au sujet de l’introduction de Twitter en bourse. A cette occasion, j’ai appris que, bien qu’existant depuis sept ans, Twitter n’est toujours pas rentable. Première remarque : dans quelle économie vivons-nous ? Une entreprise qui ne gagne pas de sous arrive quand même à en trouver pour survivre, comment ? Pourquoi ? Quand tant d’autres meurent ?

Au-delà de ces interrogations qui resteront sans doute sans réponse, je voudrais dire ici que toutes ces questions sur le « modèle économique » de la Net économie m’agacent. Tout particulièrement quand je fréquente des réseaux sociaux. Moi j’y vais pour une raison bien précise : causer avec des amis, échanger avec de parfaits inconnus, découvrir grâce à eux un livre passionnant, un film émouvant, une info qui m’aurait échappé… Au milieu de ces échanges amicaux, fraternels, intellectuels, le graal du modèle économique des réseaux sociaux, j’ai nomme la pub, n’a vraiment pas droit de cité !

Et je le dis tout net à certains amis : je suis très déçue quand je vous vois « aimer » des pages de pub sur Facebook… Je vous garde toute mon amitié mais…

Alors je sais bien ce qu’on va m’objecter : il y a des entreprises derrière ces services, il faut qu’elles vivent et payent leurs employés. Comment être contre ? Mais je le dis franco : je préfèrerais payer un abonnement mensuel que de subir la pub.

La communication, avatar moderne du mot pub, lui-même ayant succédé à réclame, envahit nos vies et nos paysages. Enseignes géantes, panneaux lumineux, prospectus dans la boite aux lettres, spam… Je n’en peux plus de la pub ! J’ai envie d’un espace vierge de pub ! Les réseaux sociaux, c'est tout indiqué...

Et je voudrais à ce titre me risquer à une comparaison avec des sites d’information. Je consulte souvent celui du Monde : il est bourré de pub ! en fond de page, sur le bandeau latéral, en fenêtres pop-up… Et je suis abonnée à celui de Mediapart : pour 9 euros par mois, vous pouvez y lire des infos, encore et uniquement des infos. Aucun encart non désiré.

Je dois reconnaitre que si les réseaux sociaux étaient payants, j’en fréquenterais moins. Mais je serai plus heureuse de fréquenter les heureux élus.

Ne nous faisons pas d’illusion : nous vivons dans un monde économique, ou de fins commerçants excellent à créer de faux besoins chez les « clients potentiels », tout ça pour faire tourner une machine de plus en plus déconnectée du réel. Alors demander un petit espace sans pub, c’est assez utopique…

 

Mais comme l’aurait dit Edouard Herriot : « Une utopie est une réalité en puissance. »



lundi 7 octobre 2013

paroles d'encre #2


Ce soir, Paroles d’Encre nous accueille dans un lieu exceptionnel: la galerie des affaires étrangères de la bibliothèque de Versailles. C’est dans ce bâtiment que fut négocié le traité de Paris de 1783 mettant fin à la guerre d’Indépendance américaine et le traité de Versailles la même année. Il est tout indiqué pour soirée consacrée à une littérature étrangère !

Très hautes de plafond, les salles en enfilade présentent des murs couverts de livres reliés cuir. On ne peut s’empêcher de se demander depuis combien de temps ces volumes n’ont pas été feuilletés ! Année Lenôtre oblige, des livres sur la botanique ou l’art des jardins sont exposés.

Mais revenons à nos invités de la soirée. Renouant avec des habitudes de ses premières années, l’association Paroles D’encre a voulu consacrer une séance à une maison d’édition. C’est Autrement qui profite de l’aubaine. Connue pour ses collections sur les sciences humaines, Autrement a progressivement intégré d’autres thèmes à ses collections, dont la littérature, avec pour fait d’armes la publication de Inconnu à cette adresse, de Kressmann Taylor.

la suite sur le blog Tulisquoi (cliquer) ou cet article est le douzième du genre...  

jeudi 3 octobre 2013

des bandits en culottes courtes #6

épisode 1 ici
épisode 2 ici
épisode 3 ici 
épisode 4 ici 
épisode 5 ici

Depuis deux jours Pons avait disparu. Les hommes du village ont organisé une battue dans les garrigues, grimpant progressivement vers la montagne, ces Pyrénées traîtresses où l’on pouvait glisser d’un rocher et rester étourdi dans une ravine sans pouvoir en sortir. Ils revinrent bredouilles et abattus. Les garçons de la petite bande n’osaient plus courir dans les rues, ni se montrer ensemble dans le village. Alors ils se faufilaient comme des ombres le long des murs, se réfugiant à deux ou trois, pas plus, dans une encoignure pour se donner des nouvelles : Pons résiste, il refuse toujours de jurer.
Pere a eu enfin le droit de se lever et de faire quelques pas dehors, mais aucun gamin n’a osé l’approcher.

Troisième jour, un dimanche. Josep avait mal au ventre. Il se sentait coupable. C’est lui qui avait eu l’idée du coup des Trabucayres, mais il n’avait pas compris que cela voulait dire enlever Pons, le faire pleurer comme un enfant, faire pleurer sa mère, faire pleurer tout le monde. Son petit cœur d’enfant de sept ans était retourné, son estomac aussi. Il était incapable de boire son chocolat. Alors il faisait traîner, tournant sans fin la cuiller dans le bol, attendant  que sa mère ait le dos tourné pour le jeter à l’évier. Puis il sortit rôder dans les rues. Sa mère allait à la messe, mais pas son père ni lui. Alors il traîna son désarroi dans les rues, avançant sans regarder où il va. Et ses pas, machinalement, comme tous les matins, l’emmenèrent sur le chemin de l’école. Il longea le mur de la cour de récréation, les yeux rivés au sol, quand il buta contre des pieds. Levant le nez, il vit M. Legrand. Alors sa honte et son angoisse le submergèrent, il fondit en larmes.
- Et bien, qu’y a-t-il, Joseph ? Pourquoi tu pleures ?
- Oh M’sieur ! Oh M’sieur !
C’est tout ce qu’il pouvait dire. M. Legrand eut un soupçon.
- Joseph, c’est à cause de Pons ?
- Oui, M’sieur.
- Allons, Joseph, viens avec moi sur le banc de la cour, tu vas tout me dire.
Alors Josep, entre deux sanglots, avoua sa mauvaise idée, ses regrets, sa peine d’avoir fait du mal.

- Toi, Josep, tu ne bouges pas d’ici !
Et chacun put voir M. Legrand sortir comme un fou de la cour, traverser le village en courant et rameuter tous les hommes qu’il croisait pour se diriger vers le vieux Chêne. Ils trouvèrent là le jeune Pons, recroquevillé sur une banquette, mains et pieds liés, bâillonné. Lorsqu’ils le délivrèrent, le garçon se mit à pleurer tout en tremblant. Il n’avait mangé depuis trois jours. Les hommes le portèrent jusque chez lui, où il fut couché dans le grand lit de ses parents, pendant que la vieille Dide lui préparait un bouillon. Il sombra aussitôt dans un profond sommeil,  et ne fut capable de raconter sa mésaventure qu’en fin d’après-midi.
Cette fois-ci, ce furent les pères qui tinrent conseil, au café. Le père Pons hurlait de rage, disant que les gosses méritaient une sévère punition, comme de passer l’été en maison de redressement. Celui de Pere faisait timidement remarquer que son fils, rossé par Pons, était au lit lorsque le rapt s’était produit. M. Legrand tentait de calmer les esprits, expliquant que son intervention auprès de Pere avait peut-être tout déclenché, que les enfants ne s’étaient pas rendu compte… Les autres se taisaient, le nez dans leur verre, rouges de honte. M. Legrand, à bouts d’arguments, proposa une sentence : les fautifs devaient être séparés pendant l’été, lorsque la classe serait finie, avec obligation de faire des devoirs de vacances qu’il se chargeait de fournir. Le père Pons en demanda plus, qu’ils soient tous au pain et à l’eau pendant trois jours et pas d’argent de poche pendant les vacances. Tous les pères acceptèrent, heureux que les choses n’aillent pas plus loin. Antoine retournerait à Céret, Jacques irait chez sa tante à Perpignan. Josep n’avait pas d’endroit ou aller, alors M. Legrand l’emmènerait avec lui. Jean irait travailler chez un lointain cousin dans la montagne, éleveur de moutons. Soulagé que cela se termine sans punitions corporelles, l’instituteur retourna vers son école. Il était près de huit heures du soir. En s’approchant, il distingua sur le banc de pierre une petite silhouette.
- Bon sang Joseph, mais qu’est-ce que tu fais là ?
- Vous m’avez dit de ne pas bouger, j’ai pas bougé.
- Excuse-moi, bonhomme, je t’avais un peu oublié ! Viens, je vais te donner du chocolat.

Pere, lui, avait vécu ces événements depuis sa maison. Sa mère avait peur pour lui et préférait le garder près d’elle. Ses amis vinrent donc le voir pour lui expliquer toute l’affaire. Il ne fit qu’un commentaire :
- Vous êtes complètement fous. Pour racheter une petite bêtise, faire une bande avec Pons, vous en avez fait une énorme.
- Mais… tu nous feras les leçons, à la rentrée ?
- Je ne sais pas… J’ai plus trop envie. Ça va encore faire des histoires. Je crois que non.
En prononçant cette phrase, il n’y croyait pas vraiment. Il avait beaucoup réfléchi, il aimait donner ses leçons. Mais il lui fallait être sûr de sa tranquillité.

Depuis deux jours, Pere faisait la vie à sa mère, la suppliait pour qu’elle le laisse sortir. Il venait d’obtenir sa permission et se rendit à l’épicerie.
- Bonjour Mme Pons. Puis-je voir Pons, s’il vous plait ?
- Il est sur la terrasse, derrière, vas-y.
- Merci M’dame.
Il traversa la maison derrière l’épicerie et vit le garçon assis à l’ombre d’une glycine, qui s’essayait au tressage de l’osier.
- Salut Pons.
- Salut.
- Ecoute bien, parce que je ne le dirai pas deux fois. Je trouve que ce qu’ils t’ont fait, c’est pas bien. Tu as été méchant, autoritaire et tu méritais une punition. Mais c’était à moi de te la donner, pas à eux. Alors pour ça je te présente mes excuses. Mais pour le reste, le Chêne est à ceux qui veulent y travailler. Si tu veux étudier, tu es le bienvenu, sinon tu vas faire tes coups ailleurs. Voilà !
- Mon père a dit que si je continuais mes coups, j’irai jamais au lycée et je ne serai jamais directeur de grand magasin. Et moi, je veux être directeur des Dames de France. Alors j’arrête. Le Chêne est à ceux qui veulent y travailler, tu as raison. Retournez-y.
- Si un jour tu le veux, tu peux venir.
- Pourquoi pas ?

lundi 30 septembre 2013

des bandits en culottes courtes #5

épisode 1 ici
épisode 2 ici
épisode 3 ici 
épisode 4 ici

Le lendemain, il arriva à l’école blanc comme un linge, le visage grave, les lèvres serrées. Il parla à peine à ses camarades, s’éloigna sans les saluer après la classe. Mais dès qu’il eut tourné le coin de la rue, après la boutique du cordonnier, comme pour aller chez lui, il se mit à courir comme un fou, pour arriver le premier au Chêne. Il se cacha parmi les genêts et les buis juste au dessus de l’arbre et attendit. Il vit d’abord arriver le Cérétan, qui malgré son altercation avec Pons était resté dans la bande, puis Pons lui-même, enfin les autres. Le dernier à venir fut le fils du patron du café, entrant dans le creux du tronc en tendant fièrement à la main une bouteille d’anisette dérobée chez son père. Pere attendit encore un quart d’heure, immobile, pour être sûr qu’il n’y aurait plus de passage. Alors il sortit de sa cachette, se planta devant l’entrée du repaire, jambes écartées, poings sur le hanche.
- Pons ! Oh, Pons ! Tu m’as volé ma bande et je ne suis pas d’accord ! ces gars sont mes copains et tu les as embobinés avec tes bêtises. Eh, vous m’entendez, les autres ? Ce ne sont que des bêtises ! des conneries, même ! Depuis que vous êtes avec lui, vous ne valez pas tripette ! Quant à toi, Pons, je suppose que le Cérétan t’a raconté l’histoire des Trabucayres et depuis tu t’imagines que tu en es un ? Une sorte de héros ? Et bien laisse-moi te dire que tu ne vaux pas un clou !
En entendant ce son discours, Pons était sorti, furieux, brandissant le poing, suivi des autres gamins, qui regardaient abasourdis leur calme et gentil copain provoquer leur nouveau chef. Quand Pere trouva le garnement suffisamment rouge, il s’arrêta. Il y eut un long silence. Puis le chef se précipita sur son provocateur, le plaquant au sol, le bourrant de coups de poings au visage, au ventre, dans les côtes. Pere ne se laissa pas faire, il répondit aux coups de poings par des coups également. Au milieu de la mêlée, il réussit à prendre le cou de son assaillant des deux mains et à serrer. Pons était assis à califourchon sur son adversaire et tenta d’écarter ses mains. Comme il n’y arrivait pas, il décocha un formidable coup au foie de son adeversaire, qui hurla de douleur. À cet instant, Jacques se réveilla de la stupeur qui avait saisi toute la bande et cria :
- Les gars ! Faut les séparer !
Cinq ou six d’entre eux se précipitèrent sur Pons, l’immobilisèrent en lui bloquant les bras dans le dos et l’entraînèrent de l’autre côté de l’arbre. Les deux plus grands relevèrent Pere et passèrent ses bras au dessus de leurs épaules pour le porter jusque chez lui.

Pere avait tellement mal qu’il ne vint pas à l’école pendant plusieurs jours. Il n’eut donc qu’une idée un peu confuse de ce qui se passa ensuite. Le conseil de guerre d’abord. Dès le lendemain, dans la cour de l’école. Tous y participèrent : les habitués de l’école de Pere,  et ceux qui n’étaient venus qu’une fois ou deux, à l’occasion d’une leçon mal comprise. Calmement Jean expliqua son point de vue : ils s’étaient mal comportés avec Pere, qui était leur ami et passait du temps à les aider, en lui préférant Pons, ce mauvais garçon qui les a entraînés dans de grosses bêtises. Tiens, mais où il est, Pons ? Il est puni, son père n’aime pas les bagarres, jeta l’un d’entre eux. Un autre reprit :
- Bon, t’as raison, Jean. On le sait tous, même si on le dit pas. Casser des carreaux, voler des pêches, c’est idiot. Mais on fait quoi, maintenant ?
- D’abord, on ne va plus au Chêne si Pons y est.
- Ouaih, d’accord, firent plusieurs voix.
- Mais attention, ajouta Jean, solennel. Il faut jurer de vraiment le faire !
- Non, ça c’est bête, fit une petite voix, celle de Josep. Il a fait du mal, il faut le punir. S’il se prend pour un Trabucayre, pourquoi on ne lui ferait pas comme les Trabucayres ?
- Ça, c’est une vache de bonne idée !
Pons resta puni trois jours sans sortir de chez lui. Cela leur laissa le temps de préparer leur coup.

Le père Pons parcourait le village en tous sens, demandant partout : « Dites, vous savez où il est, mon fils ? Il est plus de dix heures, il devrait être rentré ! ». Personne ne savait où se trouvait le garçon. Ni le patron du café, ni le cordonnier, ni l’instituteur qui confirma que Pons était venu à l’école aujourd’hui, ni le père Capell, ni … Il frappa à toutes les portes, sans aucun succès. Comme il errait sur la place du village, désemparé, M. Legrand vint le voir :
- Ecoutez, vous lui avez donné une punition sévère, même s’il la méritait. Il a dû faire une fugue, il reviendra bien demain. Allez dormir tranquillement, s’il ne revient pas demain, on ira ensemble à la gendarmerie.
A quelques centaines de mètres de là, Pons sanglotait ligoté et bâillonné, caché dans le creux du chêne-liège. Après la classe, quelques camarades avaient causé avec lui, naturellement, comme si rien ne s’était passé. D’autres avaient couru en silence, chaussés d’espadrilles, vers le Chêne. Quand Pons y était arrivé, l’un d’entre eux attendait caché sur le côté de l’entrée de la cachette, armé d’un gourdin. Pons fut promptement assommé, attaché, couché sur une banquette. Puis Jean lui jeta un broc d’eau au visage pour le réveiller et lui cria :
- On te libère si tu jures de nous laisser tranquille pour bosser ici !
Pons fit non de la tête.
- Tant pis pour toi. On viendra demain voir si tu as changé d’avis.

jeudi 26 septembre 2013

des bandits en culottes courtes #4

épisode 1 ici
épisode 2 ici
épisode 3 ici

Petit à petit, Pons organisa la vie de l’antre arboricole. Un soir il inventait un « cours de botanique », entraînant la bande à travers la garrigue pour reconnaître les plantes. Un autre, il amenait des dominos et organisait un tournoi. Pere n’avait pas l’âme d’un chef et laissait faire. Les leçons, c’était pour rendre service. Pons, lui, affichait une cordialité qui masquait une brutalité devant laquelle les autres reculaient. Les choses commencèrent à mal tourner quand son grand frère, apprenti ferronnier au bourg voisin du Boulou vint un dimanche et apporta des frondes. Pons entraîna la bande hors du chêne-liège, pour jouer à casser des carreaux. En juin, quand les premiers fruits commencèrent à mûrir, ils allèrent chaparder dans les vergers. Pere ne venait plus depuis longtemps. Seuls Josep, chassé par Pons du fait de son âge, et Jean, hanté par son certif’, lui étaient restés fidèles. La saison était belle ; ils travaillaient sur un banc à l’ombre au flanc de l’église. Mais la protection bienfaisante de l’arbre aux bandits leur manquait.
Un jour, M. Legrand vint les trouver. Il avait l’air très préoccupé.
- Bonsoir, les enfants. Puis-je vous parler ?
- Bien sûr, répondit Pere.
- Écoute, mon garçon, je suis très inquiet. Les notes de toute la classe baissent. Je ne comprends pas pourquoi tu ne les aide plus. Cela était bien utile. Tu aurais du continuer.
- Mais M’sieur, ce n’est pas ça du tout ! Les autres ont préféré jouer au Truc, ou faire toutes sortes de choses que Pons leur proposait ! Moi, j’ai continué tant que j’ai pu, mais il a retourné presque tout le monde, avec ses idées. Voyez, il n’y a que Josep et Jean qui ont préféré travailler. Comme dans l’arbre ce n’était plus possible avec les cris et l’agitation, on est venu ici. Mais vous verrez M’sieur, Jean, il l’aura, son certif’. 
- Allons Pierre, je pense que quand tu racontes cette histoire, tu ne dis pas tout. Tu l’as bien un peu laissé faire, Pons ? Tu aurais pu t’opposer, dire non.
- Dire non ? Pourquoi ? Moi je faisais cela pour aider. S’ils ne veulent plus, c’est leur problème.
Il appuya son discours d’un mouvement de tête en direction du Chêne.
- Et bien, tu me déçois, Pierre, fit M. Legrand.
 Il se retourna et s’éloigna sans un mot de plus.
Cette conversation avait mis Pere en colère. Au début l’idée des leçons en plus de la classe n’était pas la sienne, même s’il l’avait trouvée bonne. C’étaient les autres, ses « élèves », qui lui avaient demandé. Maintenant ils préféraient faire la vie avec ce garnement de Pons. Est-ce que cela le regardait ? Non ! En rien ! Si les autres voulaient recommencer à travailler, c’était à eux de voir, aucun problème. Il décida qu’il en avait assez, qu’il laissait tout tomber.
Au dîner il subit un nouveau coup de semonce. Tout à coup, son père lui dit :
- Dis donc, ta bande, elle en fait des jolis coups ! Aujourd’hui, ils ont volé des pêches chez le père Noux.
- Voyons Papa, tu sais bien que ce n’est plus ma bande, c’est celle de Pons maintenant.
- Oui, et bien au village tout le monde pense que si tu ne l’avais pas laissé faire, ce vaurien de Pons, on aurait moins de problèmes. Au café, le père de Jacques m’a fait des reproches car ses notes baissent et même le curé s’y est mis, disant que depuis que tu les as abandonnés, ces garçons ne viennent plus au catéchisme.
- Mais merde, je les ai pas abandonnés ! C’est eux qui ont décidé d’aller avec Pons et pas avec moi ! cria-t-il en levant les bras au ciel. Puis il jeta sa fourchette sur la table et bondit en courant vers l’escalier pour se réfugier dans sa chambre, tant pour éviter la taloche paternelle bien méritée pour un aussi gros juron que pour y méditer son chagrin.
Plus tard dans la soirée, il entendit une vive discussion entre ses parents.  Et entendit même son père crier « c’est pas avec une attitude comme ça qu’il sera député, ton fils ! Il se trompe bien, M. Legrand ! »
Il passa une nuit blanche, essayant de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il n’arrivait pas à sortir de son argument principal : ce n’était pas lui qui avait décidé de cesser leurs activités, ce sont les autres qui ont préféré Pons. Mais il comprenait que son honneur était atteint, puisque tout le village se montait contre lui. De la part de certains, cela lui était égal, mais venant de son père et de M. Legrand, il se sentait blessé au plus profond. Les deux hommes semblaient croire en lui, M. Legrand avait convaincu son père de le laisser faire des études, il rêvait déjà à un avenir de « Monsieur », avec un beau costume et peut-être une voiture ! Perdre leur estime était injuste, et un grave préjudice. Il ne pouvait pas laisser faire cela.

lundi 23 septembre 2013

des bandits en culottes courtes #3

épisode 1 ici
épisode 2 ici



Après les vacances de Pâques, M. Legrand leur présenta un nouveau, Pons. Aucun élève ne fut surpris : tous avaient assisté à l’emménagement de la famille comme au spectacle. Débarquant en plein village avec une carriole tirée par un cheval, ils avaient amené tous leurs meubles : armoires, tables, chaises, commodes, cuisinière à bois… Après vingt ans dans la bonneterie à Rivesaltes, à vendre des gaines et des élastiques, Monsieur Pons venait reprendre l’épicerie de sa cousine Dide. Trop vieille pour continuer à grimper sur les escabeaux, n’y voyant plus assez pour compter les roudoudous et les réglisses, elle avait besoin d’aide. C’est ainsi que Pons arriva sur les bancs de l’école. Les premiers soirs, il rentra chez lui après la classe, goûta et sortit dans les rues à la recherche de quelque camarade d’école avec qui s’amuser. Il fut étonné d’en trouver peu. Au bout de quelques jours il avisa Jean et lui demanda :
- Tu fais quoi, toi, après la classe ?
- Moi ? Je vais avec les autres, pardi ! On travaille avec Pere, pour avoir de bonnes notes.
- Vous faites quoi ? insista Pons, un sourire narquois sur les lèvres.
- On travaille, pauvre nouille ! On se rassemble au vieux Chêne et Pere nous aide si on n’a pas compris.
Le soir même, Pons vint rôder autour du vieil arbre. Pas impressionné du tout. Ni par sa stature, ni par son aura. Chaussé d’espadrilles, il s’approcha sans un bruit, s’assit près de l’ouverture du tronc et écouta. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir qu’ils travaillaient vraiment ! Jacques récitait ses tables de multiplication, des plumes crissaient sur du papier, et Pere expliquait à Jean pourquoi les trains se croisaient à onze heures cinquante-huit. Il repartit tout aussi discrètement, pensant « ben merde alors, j’ai jamais vu des gars aussi sérieux … ».

Le lendemain, Pons demanda de venir, la règle du participe passé lui posait problème. Pere lui expliqua l’accord : il devait amener un goûter. Il amena du chocolat, un luxe inouï pour la plupart des membres du groupe.
- Ouah ! Comment tu l’as eu ?
- C’est rien, fit-il négligemment, je l’ai piqué à l’épicerie.
Alors Pere répondit :
- Ecoute, ici tout le monde est réglo. Le goûter, c’est les parents qui le donnent.
- D’accord, d’accord, je ne le ferais plus, mon père. Bon, tu me l’expliques, la règle du participe ?

Pons se montra assidu à ces séances de travail. Il disait aimer l’atmosphère bienfaisante dans la cavité. Comme si le chêne-liège le protégeait. Pourtant, un jour, il arriva avec un jeu de cartes.
- Oh les gars, si on jouait ?
- Non, on est là pour travailler, cria Josep.
- Toi, le Petit, la ramène pas, tu veux ?
Le Cérétan intervint :
- Fiche-lui la paix, c’est un petit !
- Ouh ! Le Cérétan qui se fâche ! Et d’abord pourquoi on t’appelle comme ça ? Je parie que tu n’y as jamais mis les pieds, à Céret ! Moi, je vais t’appeler par ton vrai nom, Antoine !
Le Cérétan blêmit.
- Quand ma mère était malade, je suis allé vivre chez mon oncle, à Céret. Je ne suis revenu qu’après sa mort. Alors ta gueule ! termina-t-il dans un hurlement.
- Bon les gars, interrompit Jean, si tout le monde doit d’engueuler, moi je m’en vais. Mais si on se calme, je veux bien faire une partie de cartes. C’est vrai quoi, je le veux, mon certif’, mais on fait que travailler et on a tous de meilleures notes.
Deux autres se portèrent volontaires et tous s’installèrent dans un coin pour jouer au Truc. A compter de ce jour, l’ambiance au creux du chêne des Trabucayres devint moins posée, moins studieuse.