jeudi 19 septembre 2013

des bandits en culottes courtes #2

(épisode 1: cliquer ici)



Pere donnait ses leçons depuis déjà un trimestre. Jacques, un garçon pauvre qui rêvait de savoir pouvoir un jour tenir un commerce, en avait eu l’idée, avant les vacances de Noël. Il en avait parlé un jour à la récréation :
- Companys[1] (bien que le catalan fût interdit à l’école) ! Vous avez pas du mal, des fois, avec les devoirs ? Moi, j’ai beaucoup de mal. Vous croyez pas que ce serait bien de demander à Pere de nous aider ? Pour lui tout est facile…
Jean avait bondi sur l’occasion :
- Ouais, c’est une bonne idée. Parce que moi, je ne suis pas sûr d’avoir mon certif’…
D’autres avaient acquiescé. Une intense négociation s’était alors ouverte, pour savoir qui irait demander à leur copain, occupé à jouer au ballon contre le mur des WC, pour se réchauffer en ce début d’hiver. Le Cérétan fut délégué : étant le plus riche, son avenir était tout tracé, il ne pouvait donc pas être soupçonné d’avoir des intérêts contraires à ceux de Pere. À la question pressante du garçon, le joueur avait répondu :
- Pourquoi pas ? Mais mon père dit que tout travail mérite salaire. Alors, vous me proposez quoi en échange ?
- Ah, et ben … je vais voir les autres !
Le Cérétan avait traversé la cour de récréation au pas de course.
- Il demande qu’on lui donne quelque chose en échange !
- Ouh là… avait fait Josep. C’est qu’on n’a pas grand-chose, nous.
Un autre avait proposé :
- J’ai remarqué qu’il a jamais de goûter. Vous savez comme son père est radin ! On a qu’à lui donner le goûter à tour de rôle.
Approbations générale. Revenu devant les WC, le négociateur avait donc énoncé la proposition. Pere l’avait acceptée d’un hochement de tête, puis posé une question :
- Et on fera ça où ?
- Ben, chez toi !
- Il faut que je demande à ma mère …
Le lendemain, Pere était arrivé avec une mauvaise nouvelle :
- Companys, ma mère ne veut pas. Elle dit que pour son travail, elle a besoin de calme à la maison. Elle dit que si on est six ou sept à parler et à s’agiter dans la maison, elle risque de rater sa couture. Ça ne marche pas.
A ces mots, quelques gamins avaient prit un air désespéré. Le groupe s’était alors assis, qui sur les bancs de pierre, qui dans les embrasures de fenêtres, songeant. Quelques suggestions furent émises : le café ? Non, on est trop jeunes et puis il y a du bruit. La cabane de berger, sur le chemin de Villargeil ? Elle menace de s’effondrer, personne ne l’entretient depuis la mort du vieil Etienne. La grange du père Capell ? Il a prévu d’y entreposer ses olives à la fin de la récolte. Le vieux chêne ? Un frisson avait parcouru l’échine des gosses. Le chêne-liège, pourquoi pas, mais il flottait comme un parfum de soufre autour de lui. On disait qu’autrefois, avant que la route ne devienne aussi large, il était caché dans la garrigue, au milieu des genêts, des buis et des ronces. Cela permettait à des bandits que l’imagination fiévreuse des gamins rendaient féroces de s’y cacher des gendarmes. Ils y mettaient aussi  à l’abri leurs tromblons, que dans le pays on appelle trabuc. Le Chêne des Trabucayres. C’était une chouette de bonne idée, car personne n’y allait, mais avait-on vraiment le droit ? Les grandes personnes évitaient de le regarder, même l’Emile préférait jeter son solex dans les broussailles plutôt que de l’appuyer au tronc rugueux, quand il allait voir ses ruches.
Un des gamins, connaissant l’histoire,  l’avait racontée au groupe :
- Les Trabucayres, ça a commencé en Espagne, à la mort d’un roi. Il y a eu la guerre entre la reine, qui voulait que sa fille hérite alors que c’était un bébé et le frère du roi qui voulait la couronne pour lui. Au début, les Trabucayres étaient dans l’armée du frère. Et puis la guerre a cessé, repris, cessé. Quand la guerre s’arrêtait, ils ne savaient pas quoi faire et ils manquaient d’argent. Alors petit à petit ils sont devenus bandits : ils arrêtaient une diligence, pillaient les voyageurs et emmenaient des otages en France pour les cacher et demander une rançon. Des fois, ils tuaient des voyageurs ou des otages. À la fin, ils se sont fait prendre et ont tous été exécutés.
- C’est quoi une rançon ? avait demandé Josep.
- Je t’expliquerai, avait répondu Pere. Alors des bandits, il n’y en a plus ?
- Non, ils sont morts, il y a presque cent ans.
- Bon, ben alors on fera les leçons là-bas.




[1] Companys : compagnons

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