jeudi 26 septembre 2013

des bandits en culottes courtes #4

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épisode 2 ici
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Petit à petit, Pons organisa la vie de l’antre arboricole. Un soir il inventait un « cours de botanique », entraînant la bande à travers la garrigue pour reconnaître les plantes. Un autre, il amenait des dominos et organisait un tournoi. Pere n’avait pas l’âme d’un chef et laissait faire. Les leçons, c’était pour rendre service. Pons, lui, affichait une cordialité qui masquait une brutalité devant laquelle les autres reculaient. Les choses commencèrent à mal tourner quand son grand frère, apprenti ferronnier au bourg voisin du Boulou vint un dimanche et apporta des frondes. Pons entraîna la bande hors du chêne-liège, pour jouer à casser des carreaux. En juin, quand les premiers fruits commencèrent à mûrir, ils allèrent chaparder dans les vergers. Pere ne venait plus depuis longtemps. Seuls Josep, chassé par Pons du fait de son âge, et Jean, hanté par son certif’, lui étaient restés fidèles. La saison était belle ; ils travaillaient sur un banc à l’ombre au flanc de l’église. Mais la protection bienfaisante de l’arbre aux bandits leur manquait.
Un jour, M. Legrand vint les trouver. Il avait l’air très préoccupé.
- Bonsoir, les enfants. Puis-je vous parler ?
- Bien sûr, répondit Pere.
- Écoute, mon garçon, je suis très inquiet. Les notes de toute la classe baissent. Je ne comprends pas pourquoi tu ne les aide plus. Cela était bien utile. Tu aurais du continuer.
- Mais M’sieur, ce n’est pas ça du tout ! Les autres ont préféré jouer au Truc, ou faire toutes sortes de choses que Pons leur proposait ! Moi, j’ai continué tant que j’ai pu, mais il a retourné presque tout le monde, avec ses idées. Voyez, il n’y a que Josep et Jean qui ont préféré travailler. Comme dans l’arbre ce n’était plus possible avec les cris et l’agitation, on est venu ici. Mais vous verrez M’sieur, Jean, il l’aura, son certif’. 
- Allons Pierre, je pense que quand tu racontes cette histoire, tu ne dis pas tout. Tu l’as bien un peu laissé faire, Pons ? Tu aurais pu t’opposer, dire non.
- Dire non ? Pourquoi ? Moi je faisais cela pour aider. S’ils ne veulent plus, c’est leur problème.
Il appuya son discours d’un mouvement de tête en direction du Chêne.
- Et bien, tu me déçois, Pierre, fit M. Legrand.
 Il se retourna et s’éloigna sans un mot de plus.
Cette conversation avait mis Pere en colère. Au début l’idée des leçons en plus de la classe n’était pas la sienne, même s’il l’avait trouvée bonne. C’étaient les autres, ses « élèves », qui lui avaient demandé. Maintenant ils préféraient faire la vie avec ce garnement de Pons. Est-ce que cela le regardait ? Non ! En rien ! Si les autres voulaient recommencer à travailler, c’était à eux de voir, aucun problème. Il décida qu’il en avait assez, qu’il laissait tout tomber.
Au dîner il subit un nouveau coup de semonce. Tout à coup, son père lui dit :
- Dis donc, ta bande, elle en fait des jolis coups ! Aujourd’hui, ils ont volé des pêches chez le père Noux.
- Voyons Papa, tu sais bien que ce n’est plus ma bande, c’est celle de Pons maintenant.
- Oui, et bien au village tout le monde pense que si tu ne l’avais pas laissé faire, ce vaurien de Pons, on aurait moins de problèmes. Au café, le père de Jacques m’a fait des reproches car ses notes baissent et même le curé s’y est mis, disant que depuis que tu les as abandonnés, ces garçons ne viennent plus au catéchisme.
- Mais merde, je les ai pas abandonnés ! C’est eux qui ont décidé d’aller avec Pons et pas avec moi ! cria-t-il en levant les bras au ciel. Puis il jeta sa fourchette sur la table et bondit en courant vers l’escalier pour se réfugier dans sa chambre, tant pour éviter la taloche paternelle bien méritée pour un aussi gros juron que pour y méditer son chagrin.
Plus tard dans la soirée, il entendit une vive discussion entre ses parents.  Et entendit même son père crier « c’est pas avec une attitude comme ça qu’il sera député, ton fils ! Il se trompe bien, M. Legrand ! »
Il passa une nuit blanche, essayant de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il n’arrivait pas à sortir de son argument principal : ce n’était pas lui qui avait décidé de cesser leurs activités, ce sont les autres qui ont préféré Pons. Mais il comprenait que son honneur était atteint, puisque tout le village se montait contre lui. De la part de certains, cela lui était égal, mais venant de son père et de M. Legrand, il se sentait blessé au plus profond. Les deux hommes semblaient croire en lui, M. Legrand avait convaincu son père de le laisser faire des études, il rêvait déjà à un avenir de « Monsieur », avec un beau costume et peut-être une voiture ! Perdre leur estime était injuste, et un grave préjudice. Il ne pouvait pas laisser faire cela.

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