Je viens
de lire un petit roman tout simple, qu’on pourrait qualifier de « roman
sans prétention ». Le collier rouge de Jean-Christophe Rufin tourne autour
de deux anciens soldats que la première guerre mondiale, l’un a commis un faux
pas et l’autre est devenu juge militaire, et un chien. Je ne veux pas en dire
plus, cette histoire doit être découverte au fil des pages…
J’ai aimé
lire ce livre, car il explore avec une infinie finesse les états d’âme de personnes
tout à fait simples, en lesquelles nous pouvons nous reconnaitre. J’ai aussi
aimé l’idée que le juge militaire, jeune homme de bonne famille et de bonne éducation,
apprenne des choses sur la vie d’un homme qui a reçu peu d’éducation. J’ai
enfin aimé la parabole sur la fidélité, et surtout sur la force de la fidélité.
Pour
illustrer la beauté du verbe de l’auteur, j’ai choisi un passage plus
descriptif, mais empreint d’une réflexion sur la vie qui m’a élue. Peut-être
parce qu’il y a des arbres…
Avant d’aborder l’ultime étape de son
enquête, Lantier éprouva me besoin de faire une longue promenade dans la campagne.
Il se leva au petit jour et partit en
direction du nord, là ou commençait la forêt qui s’étendait jusqu’à Bourges.
Les arbres étaient des chênes pour la
plupart. Ils avaient été plantés, les premiers, dès l’époque de Louis XIV. À
mesure qu’on avance dans les allées forestières, on découvre des alignements inattendus.
Le désordre des troncs fait alors place, pour un instant, à une trouée
rectiligne qui semble conduire jusqu’à l’horizon. Cette irruption de la volonté
humaine dans le chaos de la nature ressemble assez à la naissance de l’idée
dans le magma des pensées confuses. Tout à coup, dans les deux cas, naît une
perspective, un couloir de lumière qui met de l’ordre dans les choses comme
dans les idées et permet de voir loin. Dans les deux cas, ces moments lumineux
ne durent pas. Dès que l’on reprend sa marche, dès que l’esprit se remet en
mouvement, la vision disparaît, si l’on n’a pas pris garde de la fixer par la
mémoire ou l’écriture.
Reste qu’avancer dans une telle forêt est un
puissant stimulant pour la réflexion. Lantier en avait besoin. Au-delà de l’affaire
qui le retenait, il pensait à la vie qui l’attendait, à l’étape qu’il allait
franchir, en quittant la vie militaire. Il pensait à cette guerre qui prenait
fin pour la dernière fois, avec ces derniers procès. Aussi rectilignes que ces
trouées, des cimetières étaient édifiés sur les champs de bataille pour abriter
les dépouilles des soldats morts. Mais ces graines-là ne pousseraient jamais.