samedi 19 mars 2016

Murmures à la jeunesse, Christiane Taubira



L’essai de Christiane Taubira, Murmures à la jeunesse, est d’abord le livre d’une femme qui pense la cité, la société. C’est assez rare pour être souligné, tant il semble que dans le personnel politique on ait mis sa capacité à raisonner au vestiaire au profit de la capacité à réagir.

C’est également le livre d’une femme qui aime la langue dans sa force et dans sa richesse. Un peu trop parfois, les longues litanies d’adjectifs sont lourdes…

C’est enfin le livre d’une femme qui dit avec finesse des choses qui me parlent et me touchent, comme cette définition de la laïcité :


« [La République] affirme dans la constitution respecter toutes les croyances et va jusqu’à assurer la liberté d’exercice des cultes, y compris dans les mieux ou le citoyen peut en être empêché : hôpitaux, casernes, prisons. Mais elle permet surtout la liberté de conscience. Elle va plus loin, elle garantit l’égalité. Elle se donne donc pour mission de faciliter la concorde, la vie commune, avec toutes les possibilités ouvertes pour chacun afin qu’en dépit des différences, malgré elles, par-dessus elles, les citoyens se sachent appartenir à la même communauté, qu’ils se sentent invités à titre égal à élaborer le destin commun ».


Je suppose que bien des jeunes de banlieues ne se sentent plus « invités à élaborer le destin commun », que bien des roms français ne se sentent pas « appartenir à la même communauté », et c’est peut-être également le cas de catholiques extrémistes par exemple… Bref, ou est passée la notion de communauté ?

dimanche 6 mars 2016

#extraits 8: Alain Llense



Frère, d’Alain Llense, est un roman étrange. Un homme raconte l’itinéraire de son frère, de l’enfance à l’âge adulte. Il s’adresse à ce frère, lui dit sa propre histoire, jusqu’à l’issue finale, inattendue, presque incroyable… mais que je ne dévoilerais pas. L’écriture est fine, sensible, parfois poétique, à tout instant agréable à lire. J’ai bien aimé ce roman.


Je voudrais ici citer quelques passages qui parlent de choses qui me tiennent à cœur… sans avoir besoin de les préciser, vous me connaissez tous trop bien maintenant.


« On dévale sur quelques mètres, l’odeur nous prend au cœur, déjà le nez en picote. Ce n’est qu’un terrain plat, peut-être pas si plat d’ailleurs, un terrain hérissé de quatre poteaux blancs qui montent dans l’azur. Il n’est pas règlementaire, aucun match officiel ne s’y déroule jamais. Nous, on s’en fout qu’il soit règlementaire, officiel ou plat. C’est « le » terrain, c’est « notre » terrain, l’espace où, religieusement, nous apprenons le rugby. Car ici le ballon est ovale, malheur à la balle ronde qui s’encanaillerait à se croire chez elle. Même si nos existences fleurissent en des contrées nord de Loire, notre village est le siège ‘une tribu d’irréductibles fondus du rugby. La faute à quelques Catalans exilés ici après guerre, et portant avec eux, en plus d’un accent de rocaille et de vigne, l’amour de ce jeu-là. »


« Je suis sorti marcher comme souvent c’est derniers temps. (…) J’aime ces temps de solitude active, de méditation en marche. Je marche et marche encore, un pas après l’autre puis un pas encore. Je suis libre, formidablement libre. (…)
Je marche comme je vis et je vis comme je marche. Ma vie est chemin aux horizons multiples et j’y chemine consciencieusement. »

Le narrateur s’adresse à son frère à travers un livre qu’il écrit. La question de l’écriture, du comment se pose donc au narrateur, alors qu’il écrit depuis déjà un an.


« Je sais déjà qu’il me faudra des mots choisis, des ratures, relire et corriger, déchirer et refaire. En un an, j’ai appris ce travail d’artisan, d’orfèvre, cette minutie dans l’utilisation des mots qui, parfois, au matin, rend caduque le mot écrit la veille et qui semblait en or. Je sais désormais que les mots ont leur rythme, leur musique et que celui qui écrit chantonne dans sa tête en permanence cette petite musique obsédante ».