lundi 26 novembre 2012

Aqueduc et Littérature



L’autre jour j’ai visité un aqueduc. Un tout petit, fait de bric et de broc. Il est peut-être romain, bâti au IIIe siècle et remanié ensuite. Peut-être pas. Une certitude : il n’a pas la régularité célèbre des aqueducs romains.



A ce stade, je devine que vous vous posez pleins de questions. Mais pourquoi elle nous parle de son aqueduc, au lieu de s’épancher as usual sur les livres, les bibliothèques, les écrivains ou la marche ? Quel rapport ? Rassurez-vous, j’y viens, j’y viens !

En effet, j’éprouve une fascination étonnante pour les aqueducs. Et avant de vous l’expliquer, je voudrais vous montrer le détail qui tue de cet aqueduc :



Un tunnel à l’intérieur qui relie les deux rives ! Pour un ingénieur des ponts (et des chaussées), savoir que nous avons été précédés de nombreux siècles auparavant est émouvant.

Mais revenons donc à cette fascination. Elle a un lien tout direct avec la littérature, et surtout avec Marcel Pagnol. Vous ne voyez pas ou je veux en venir ? Rappelez-vous votre lecture de La Gloire de mon Père. Les premières pages surtout. La lumière ne se fait toujours pas ? Bon, d’accord, aucun rapport entre les bruitages astucieux du petit Marcel avec les tuyauteries ; son apprentissage miraculeux de la lecture ou le coup du roi ; avec les aqueducs. Mais entre son grand-père et des ouvrages, si. Lisez plutôt :


  Il n’aimait pas beaucoup les maçons : « Nous, disait-il, nous montions les murs en pierres appareillées, c’est-à-dire qui s’emboîtent exactement les unes dans les autres, par des tenons et des mortaises, des embrèvements, des queues d’aronde, des traits de Jupiter… Bien sûr nous coulions du plomb dans des rainures, pour empêcher le glissement. Mais c’était incrusté dans les deux blocs et, ça ne se voyait pas ! Tandis que les maçons ils prennent les pierres comme elles viennent, et ils bouchent les trous avec des paquets de mortier… Un maçon, c’est un noyeur de pierre, et il les cache parce qu’il n’a pas su les tailler ».
  Dès qu’il avait un jour de liberté – c’est-à-dire cinq ou six fois par an – il emmenait toute la famille déjeuner sur l’herbe, à cinquante mètre du pont du Gard.
  Pendant que ma grand-mère préparait le repas, et que les enfants pataugeaient dans la rivière, il montait sur les tabliers du monument, prenait des mesures, examinait des joints, relevait des coups, caressait des pierres.
  Après le déjeuner, il s’asseyait dans l’herbe, devant la famille en arc de cercle, en face du chef d’œuvre millénaire, et jusqu’au soir, il le regardait.
  C’est pourquoi, trente ans plus tard, ses fils et ses filles, au seul nom du pont du Gard, levaient les yeux au ciel, et poussaient de longs gémissements.
  J’ai sur ma table de travail un précieux presse-papier. C’est un cube allongé, en fer, percé en son centre d’un trou ovale. Sur chacune des faces extrêmes, un entonnoir assez profond est creusé dans le métal refoulé. C’est la massette du grand-père André, qui frappa pendant cinquante ans la dure tête des ciseaux d’acier.
  Cet homme habile n’avait reçu qu’une instruction sommaire. Il savait lire et signer, mais rien de plus. Il en souffrit secrètement toute sa vie, finit par croire que l’instruction était le Souverain Bien, et il s’imagina que les gens les plus instruits étaient ceux qui enseignaient les autres. Il se « saigna »’ donc aux « quatre veines » pour établir ses six enfants dans l’enseignement, et c’est ainsi que mon père, à vingt ans, sortit de l’Ecole Normale d’Aix en Provence, et devint instituteur public.


Dans ces quelques lignes magnifiques se trouvent des notions (pour ne pas dire des valeurs…) qui me touchent profondément.
Le respect du travail bien fait, d’abord. Ce travail manuel qu’exerçait son grand-père était plus qu’un savoir-faire : l’amour de la taille des pierres élève cette activité au rang d’art. Mon travail n’est pas manuel, loin s’en faut. Mais quand j’ai bien  fait une tâche, j’éprouve de façon intense cette satisfaction que ressentait un artisan, ici un tailleur de pierres, après une belle journée de labeur.
La notion des origines ensuite. J’ai toujours pensé qu’il est important de savoir d’où on vient. On pourrait même dire de qui on vient. La jolie pierre de métal poli posée sur le bureau de Marcel Pagnol, c’est ça. Ne pas oublier qu’un grand-père sachant à peine lire s’est privé pour que son fils devienne instituteur, et que la génération suivante aborde les métiers de la création.

Je n’oublie jamais d’où je viens.

Et à cause de ce livre, aqueduc rime avec littérature.




mardi 20 novembre 2012

Petits bonheurs de lecture #1



J'ai décidé d'ouvrir une nouvelle rubrique: "mes petits bonheurs de lecture"

Parfois, au détour d'une page de roman, voici que s'offrent aux yeux du lecteur une, deux, trois phrases particulièrement belles. Ca m'arrive, assez souvent. Et loin de me sentir agressée par cette exhibition, je me dis que je dois les partager avec vous.

Cette rubrique contiendra donc des extraits, mais elle n'a rien à voir avec l'autre rubrique, qui s'appelle #extraits (je sais, c'est compliqué, mais comme ça je verrai ce qui suivent et ceux qui ont besoin d'un rattrapage). Dans cette autre rubrique, je ne relève que des textes ou les auteurs parlent d'écriture ou d'écrivains. Ici je veux partager des phrases belles, élégantes, aux mots bien choisis.

Bon, trêve de discours, commençons. Et là je vais en surprendre plus d'un: je n'ai pas aimé le livre qui sera cité. Il s'agit du recueil de récits Les Oliviers du Négus, de Laurent Gaudé. L'auteur traite ici de thèmes qui lui sont chers, et qu'on retrouve dans toute son œuvre. Mais il manque le souffle, l'envergure de ses romans. Ce qui n'empêche pas quelques très belles phrases, puisque Laurent Gaudé manie la langue avec grâce:

« Il écoutait les conversations de ses amis d’autrefois et ne comprenait plus leurs rêves et leurs envies. Etranger à tout, incapable de reprendre le cours normal de sa vie. Seuls les oliviers continuaient à parler à ce grand fou brûlé par la guerre. »

« Je ne savais pas s’il s’agissait encore d’hommes ou si, au fil du temps passé dans ce camp de nulle part, ils avaient fini par devenir arbre, terre et granit. »

 éd Actes Sud

samedi 17 novembre 2012

Pessoa et moi



jeudi soir, lors d'une rencontre Paroles d'Encre (association littéraire à Versailles), j'ai découvert une citation extraordinaire de Fernando Pessao


"La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas". 


 Cette phrase a été citée en portugais puis en français par Sébastien Lapaque.
Comment comprendre cette phrase hors contexte ? Je suppose que l'auteur a voulu dire que la littérature est indispensable à la vie, ou à comprendre la vie. Elle donne une place centrale à l'écrivain, qui devient alors chargé d'une mission écrasante. Mais Sébastien Lapaque balaye ces craintes d'un revers de main involontaire à travers une autre profession de foi: il affirme que son objectif est de raconter des histoires. Et là, lumière ! 

Je me reconnais parfaitement dans cette mission: en tant qu'écrivain (bon, il n'est pas question de me comparer à lui ou à Pessoa), ce que je vise c'est à raconter des histoires. De bonnes histoires bien sûr. Et si possible des histoires qui puisse toucher un peu à l'universel, au delà des personnages et des situations. J'ai toujours pensé que si, après avoir lu un de mes textes, mes lecteurs s'ouvrent à des questions sur l'âme humaine ou le monde dans lequel nous vivons, j'ai gagné la partie

Est-ce ce qu'à voulu dire Pessoa ? Si j'ai trouvé cette citation sur Internet,et la mention de "théoricien de la littérature" sur Wikipedia, je n'ai pas trouvé dans mes recherches trop rapides d'étude sur ses théories. Et puis au fond je m'en fiche. Ce qui me plait, c'est de m'approprier cette phrase et de la tordre un peu pour qu'elle dise ce qui me touche. 

Et vous, quelle place pensez-vous que l'écrivain ou la littérature doivent avoir dans votre vie ?  

samedi 10 novembre 2012

l'ivresse de lire

Mon ami Alain,qui nous a déjà régalé de l'épisode #3 du Chêne adolescent, a été inspiré par l'article de Martine Silber sur la lecture pathologique, et nous livre ici sa propre expérience
.
Peu importe le moyen pourvu qu'on ait l'ivresse,
Quelques alexandrins pour ma petite presse.
Chers vous, 
à mon tour de mettre en mots et avec plaisir ,
mon peu glorieux chemin vers l'ivresse de lire.
Le chemin prit 20 ans, voir trente et meme quarante,
L'important c'est d'y être, et sur la bonne pente !
Enfant précoce timide,  joueur et anxieux,
Pour la lecture je n'avais jamais temps ni yeux,
A dix ans Oh ma mère , Quelle idée salutaire !
J'avais besoin d'argent, un projet "ondes et air",
Et elle offrit deux francs, par livre lu résumé, 
Ce fut certes scolaire, vous en conviendrez,
mais vraiment efficace, c'est ce qu'il me fallait,
faire deux choses à la fois, c'est encore assez moi !
Et ainsi Aujourd'hui, plus de trente ans plus tard, 
Lire est quotidien, tout cela gratuitement,
Il m'arrive même d'écrire, ca sort presque fluidement,
Alors je vous souris, et vous salue, vive l'art !
 cette enfant sur son chemin suivra-t-elle celui d'Alain ? 

mercredi 7 novembre 2012

Une bibliothèque toute simple

Il est des bibliothèques qui ne payent pas de mine, mais qui attirent comme des mouches. J'en veux pour preuve ce modeste meuble, rempli depuis toujours (disons d'aussi loin que je me rappelle) de livres de poche.



Enfants, nous tournions autour de ces bouquins, pendant nos vacances. Je n'ai pas précisé: cette bibliothèque est dans une maison de famille ou nous avons passé nombre d'étés et de vacances de printemps. Je ne suis pas une lectrice pathologique (voir billet précédent), mais combien de fois suis-je tombée en arrêt devant ces tentations ! Combien d'heures ai-je passé à regarder les tranches, les couvertures, puis à choisir (librement, quel bonheur) un ouvrage à lire ? Je ne les ai jamais comptées, mais elles sont parmi mes souvenirs les plus chers. J'ai ainsi découvert Zola, Steinbeck, Pagnol, une belle éducation n'est-ce pas ?


J'étais dans cette maison la semaine dernière, accompagnée. Et bien je vous le donne en mille, le charme de la bibliothèque a encore agi ! Nous avons passé deux heures un soir à sortir les livres, mon ami éternuant à cause de la poussière mais incapable de s'en empêcher. J'ai alors redécouvert qu'au milieu des romans à portée sociale se trouvaient des polars, des romans d'aventure... Bref, un résumé de littérature.

Il ne me reste qu'à espérer l'arrivée rapide d'une nouvelle génération, celle de mes petits enfants, qui serait alors la 5ème utilisatrice, afin de tester la durée du pouvoir d’attraction d'un petit meuble tout simplement chargé de livres.

Au passage, je mesure la chance que j'ai eue: dans ma famille la lecture n'était pas un passe-temps mais une vraie activité, à laquelle nous n'étions pas poussés mais discrètement encouragés par des échanges et des conseils... Aucune pathologie chez nous !

vendredi 2 novembre 2012

Pathologie de la lecture

Pour son tout premier Vases Communicants, A l'encre bleu nuit a le plaisir d'accueillir Martine Silber, grande lectrice, qui vous parle de livres, elle aussi ! Qui se ressemble s'assemble ?



 Dès l'enfance, lire a été un problème. On trouvait que je lisais goulument, on m'accusait  de lire trop vite, de sauter des pages, de ne pas comprendre ce que je lisais.  J'ai pris l'habitude de me cacher. Au fond du jardin. Au grenier. Sur le balcon, même en hiver.

Je lisais tard sous les draps avec une lampe de poche et quand je me faisais surprendre, le livre était confisqué et on m'annonçait que j'allais devenir aveugle. Je ne suis pas devenue aveugle mais sourde, laissant les adultes  s'égosiller, le téléphone sonner, tandis que je changeais de position comme seuls savent le faire les enfants, une jambe en l'air, la tête en bas.

 Lire est devenu un plaisir défendu, et au fur et à mesure,   une addiction.

Si je pars en vacances, par peur de manquer, j'emporte un énorme sac de bouquins. Non seulement pour ne pas rester sans rien à lire, mais pour pouvoir aussi choisir. Ce qui ne m'empêche pas d'en acheter sur place si par malheur il y a une librairie car je ne peux pas entrer dans une librairie sans acheter de façon compulsive ( pas un seul, mais deux ou trois livres au moins et cela peut aller bien plus loin...). Si je n'ai rien à lire dans le métro,  dans une salle ou une file d'attente, l'angoisse m'envahit. Je n'ai qu'une idée, m'enfuir, sortir, trouver un livre, un journal, n'importe quoi pour survivre.

Quand je termine un livre, le choix du suivant est atroce. Comme tous les drogués sérieux, j'ai des provisions d'avance, les étagères débordent, les piles montent  sol. J'en saisis un puis un autre, avec une sensation de malaise au fond de l'estomac, incapable de me décider.



J'ai été un peu sauvée par ma liseuse électronique. J'y empile les e-bouquins  sans vergogne. Personne d'autre que moi ne peut les voir. Mes réserves sont dissimulées, connues  de moi seule et si j'accumule sans lire tout de suite, pas de réflexions désagréables, pas de sourcils levés, pas de soupirs désabusés.

Mais je ne peux pas m'empêcher d'acheter aussi des livres papier. Je n'aime pas beaucoup le shopping, mais je en résiste pas aux devantures des libraires. Et de la vitrine à la porte d'entrée, il n'y a qu'un pas que je franchis avec allégresse, totalement consciente que je ne ressortirai pas les mains vides.

Bien sûr, je rate les stations de métro, je prépare le déjeuner en retard, je lis le soir jusqu'à ce que mes yeux brûlent.

 Je crois même que si j'ai appris plusieurs langues, ce n'est pas pour communiquer avec les autochtones, mais plutôt  pour pouvoir lire dans le texte, sans passer par le filtre de la traduction.

Je fréquente peu les bibliothèques que j'ai pourtant écumées dans mon enfance, je déteste emprunter, je  veux mes livres à moi, chez moi. Mais j'en prête. Ou du moins, j'en achète en double pour pouvoir les prêter. J'en achète aussi en double parce que j'ai oublié que je les avais déjà achetés. Plus étrange, j'ai beaucoup de mal à me décider à lire ceux que l'on m'offre, qui attendent parfois des mois, des années...

J'ai fait de cette addiction mon métier en devenant critique littéraire pendant assez longtemps, presque par hasard. Mais il n'y a pas de hasard, on le sait bien. Seulement, cela n'allait pas. Je croulais sous les mauvais livres et je n'avais plus le temps de lire ceux dont j'avais envie. En outre, lire armée d'un crayon, ce n'est plus la même façon de lire et j'ai été finalement soulagée d'arrêter et de passer à la rubrique théâtre, puis d'avoir un blog théâtre (http://marsupilamima.Blogspot.com). Une autre façon d'aimer les textes et d'en parler en préservant mes lectures.



 Merci à Valérie de me prêter cet espace, pas vraiment pour parler de livres, mais de cette pathologie de la lecture dont je crains qu'elle ne soit incurable...mais ce n'est pas une maladie orpheline, nous sommes assez nombreux, non?