vendredi 26 avril 2013

Prédestination #4




- Pierre, tu vas être content de moi.
- Comment ça ?
- J’ai vu le médecin aujourd’hui, il m’a fait un speech.
« Mademoiselle, plus d’un an après votre accident, il est temps de faire un bilan. Nous avons ensemble pansé vos plaies physiques, je pense qu’il va être temps de s’occuper des plaies morales. Les progrès de votre bras ont été considérables mais insuffisants. Vous ne le tendez pas complètement. Les kinésithérapeutes et moi sommes d’accord : il ne sera pas possible d’aller plus loin.
- Vous êtes en train de me dire que vous arrêtez ?
- Il reste un peu de travail à faire sur la souplesse de votre épaule, mais cela ne nécessitera pas de venir tous les jours. Pour le coude, nous ne pourrons pas améliorer sa mobilité.
Silence.
- Je crois que savez mieux que moi ce que cela signifie, Gina. Plus de cirque. Il va falloir utiliser les semaines de rééducation qui vous restent à réfléchir à une possible reconversion professionnelle. »
- Et là, tu sais ce que j’ai dit, Pierre ? Tu sais ce que j’ai dit ?
- Il rit.
- Non, tu sais bien que je ne sais pas.
- Traduction simultanée. Enfin, interprète, tu vois ?
Il me regarde, étonné et grave.
- Et avant que ça sorte comme ça, tu y avais déjà pensé ?
- Ben oui, souvent. Avant d’entamer ma formation d’acrobate.
            Prédestinée, vraiment ? 


Valérie ? Gina ?

Au passage, un petit merci à Jean-Claude Duponq qui avait proposé ce logorallye sur son blog et écrit un texte sur cette base: ici . Les mots à utiliser: dignité, espace, pression, résorber, panser, arbre, cirque.
Wana Toctouillou l'a utilisé dans un vases communicants pour son hommage à Roger: ici



mercredi 24 avril 2013

Prédestination #3




C’est un long couloir lumineux. D’un côté se trouvent les salles, celles où on aide les cabossés du centre à se rétablir. Le mur est jaune anis, couronné de quelques fenêtres. De l’autre côté, de grandes baies vitrées ouvrent sur un parc arboré, et des coffres de bois faisant bancs, placés là par un menuisier attentionné, s’offrent pour réconforter fatigues ou chagrins. J’y suis souvent, un genou posé sur le banc, bras droit appuyé contre la vitre, et front contre le bras. Aujourd’hui Nadia interrompt ma rêverie.
- Toujours dans les cintres, Gina ?
- Oui…
- Tu devrais t’en défaire, de ces souvenirs, ça te fait mal. Au mieux tu retourneras là-bas et tu reprendras tes numéros, mais au pire tu devras laisser ici tes plumes, tes rêves et tes paillettes.
- Les paillettes je m’en fiche, mais je voudrais retrouver ma dignité, refaire mon ancien numéro avec mon partenaire.
- Tu parles du beau gosse qui est venu deux ou trois fois ? Enfin peu importe, Nadia, concentre-toi. Ta dignité ? Je me demande bien ce que ça veut dire, ça. Ce concept, là, c’est celui qui fait que tu te laisses pousser en haut d’une pyramide branlante ? Ou celui qui amène ton directeur à ne jamais venir te voir, toi qui ne rapporte pas un rond ? Oh, Gina, laisse tomber tout ça, pense un peu à toi…
Je me retourne et m’assieds sur le banc. Un long soupir…
- Pierre s’est étonné une fois de ma « prédestination ». Cette idée me trouble.
Nadia se joint à moi sur le coffre.
- Euh, c’est quoi ce nouveau concept ?
- Fille d’artistes de cirque, je deviens acrobate. Comme si c’était écrit. Comme si je n’avais rien décidé. En tous cas c’est son point de vue. Et pourtant…
Gina attend un peu, puis fait une grimace. Nadia intervient, taquine :
- Allo, je t’écoute !
Je lui souris.
- C’est dur de parler de tout cela. J’ai fait des choix, comme lui. Mes parents souhaitaient mettre au point un numéro à base de portés et de bascules, à quatre, eux, mon frère et moi. Mais j’ai refusé. Trop classique. J’ai préféré aller vers des numéros plus modernes,  à mi-chemin entre danse et acrobaties diverses, avec d’autres partenaires que la famille. On s’est engueulés.
- Ah, je comprends ! Sauf que Pierre, lui a carrément choisi une voie différente de celle de son père. Il a osé la rupture. Toi tu es restée dans la même veine que ta famille, comme si quelque chose te retenait. Si j’ai bien compris d’ailleurs, elle te manque cruellement, cette famille.
- Oh tu sais, ça fait presque un an qu’ils sont partis. Quand j’y songe, retrouver ma souplesse et ma puissance, ce sera presque impossible. Et toi, super prof de russe, tu pourras recommencer ton boulot ?
- J’y compte bien ! Et je dois dire que moi aussi j’ai subi la prédestination, avec un grand-père russe blanc. Serait-ce une fatalité ? Un truc qu’on encaisserait sans le savoir ?
            Grand éclat de rire.

lundi 22 avril 2013

Prédestination #2




              Dans la grande salle, des appareils. Ils ressemblent à des engins de torture. J’y passe deux ou trois heures chaque jour, en plus des séances de kiné. Je n’ai jamais le temps de retourner au cirque. Ça met le directeur hors de lui, il croit que je me désintéresse.
- Tu comprends ça, Pierre ? Il prétend que je n’en ai rien à fiche du prochain spectacle !
Pierre est un de mes compagnons d’infortune. Accident de moto, une jambe broyée. Pour l’instant il est encore en fauteuil roulant, mais la rééducation bat son plein. Comme pour moi.
- Dis-moi, Gina, comment es-tu venue au cirque ?
Tandis que je me concentre sur les très légers mouvements de flexion et d’extension de mon bras, je réponds :
- Je n’y suis pas venue, j’y suis née ! Je fais partie de ces quelques familles qui restent où on est acrobate, jongleur ou équilibriste de génération en génération.
- Alors si tu as un gosse, il sera acrobate aussi ?
- Ben oui…
- Incroyable d’être ainsi prédestinée ! Je sens le poids de ta famille sur tes épaules. Moi qui l’ai subie et qui ai mis des années avant de me décider à devenir cuisinier, prenant à rebours un père diplomate…

            - Je suis bien ennuyé, mademoiselle. Je n’arrive pas à résorber ce blocage de votre coude.
Assise comme je le suis, jambe gauche passée sur la droite et bras gauche posé dessus, tout à l’air d’aller bien. Mais mon coude refuse de s’ouvrir au delà de l’ange droit, et de se fermer complètement. Le kiné vient de travailler quarante-cinq minutes sur mon articulation sans succès. Il doit s’avouer vaincu mais cela ne lui coûte pas trop car…
- je crois qu’il existe une solution. Je ne vous promets pas de miracles bien sûr, mais je vais vous confier à une collègue qui travaille avec d’autres méthodes. J’en ai parlé avec elle, cela peut être adapté votre cas.
            Mon cas. J’aime beaucoup cette expression…

            Déjà six mois. Pierre a recommencé à marcher. C’est très dur, mais il s’accroche. S’il veut reprendre la cuisine, son fameux choix personnel, il devra tenir debout. Il est à la porte de la salle d’exercices et discute avec Nadia, chute de vélo. Ici, on se présente d’abord par son drame.
            J’ai de la chance par rapport à eux : je rentre chez moi chaque soir. Dans mon petit deux-pièces, ou personne ne m’attend. Mes parents sont en tournée avec mon frère. Mes deux compagnons, eux, sont trop amochés,  ils restent ici.
            Ils ont de la chance : leur pronostic est bon, ils sont de solides chances de retrouver leur autonomie, leur mobilité. Me concernant, le médecin et le kiné restent pessimistes.

jeudi 18 avril 2013

Prédestination #1



J'ai fait un acte manqué terrible : J'ai envoyé le texte ci-dessous à un concours de nouvelles, dans l'espoir d'être primée bien sûr. Mais je n'ai pas envoyé le chèque de  participation de 5 euros, une somme folle ! Avais-je vraiment envie de participer ? Ceux qui ont lu le billet précédent, ou je fais part de mes doutes sur l'écriture, resteront perplexes. Ce qui ne m'empêche pas, toute honte bue, de décider de le publier ici en feuilleton, comme déjà fait une fois. Bonne lecture !

Prédestination 

            La douleur. Une perfusion, le bras gauche bloqué et enveloppé de pansements. Une pompe à morphine. Je garde les yeux fermés, appuyée à l’oreiller sur le lit redressé. J’écoute le médecin parler. Quelques mots surnagent au dessus des autres : fractures multiples, opération difficile, longue rééducation. Combien ? Cela se comptera en mois, peut-être une année. Mais Docteur, ce n’est pas possible ! Mon métier c’est acrobate, un an sans entraînement et je serai finie ! Hélas mademoiselle, je suis médecin, pas sorcier.
            Une pyramide humaine. Mal engagée. La base n’est pas stable. Le directeur du cirque qui crie. Il faut qu’on réussisse. La plus grande jamais faite, les gymnastes qui grimpent en même temps des différents côté, avec grâce, pour créer un étage de plus, puis un autre… Pourquoi tant de pression ? La technique, on l’a. Ce qui manque, c’est du travail. Il ferait mieux de nous laisser harmoniser nos gestes,  ajuster nos équilibres, recommencer encore et encore en paix. Comme on doit toujours le faire pour qu’une attraction soit parfaite. Ensuite ajouter les lumières du chapiteau, la musique, les costumes. Mais non, il faut que ça aille vite, pour sortir ce numéro à l’occasion du prochain spectacle, coûte que coûte. Le cirque va mal, il faut des numéros peu ordinaires pour épater le public. Alors il nous houspille.
            La chute.

            C’était il y a deux mois. Quand je pénètre dans l’enceinte, bras encore immobilisé contre le corps, j’ai une appréhension. Comment vais-je être accueillie ? Que vais-je ressentir ?
            Sur une des pistes deux cavaliers, un homme et une femme, travaillent avec leur cheval qui tourne au rythme d’un trot régulier. Les gradins sont vides, les lumières donnent l’illusion du jour. Une atmosphère calme, studieuse. Celle que j’aime.
            Je lève les yeux vers les cintres. Comme toujours je me sens écrasée par cet espace, sa hauteur, les rotondités des deux arènes. Les grands montants me font l’effet d’arbres immenses qui soutiendraient une sorte de voûte céleste. Depuis que je suis enfant, je grimpe le long de ces poutres, c’est un bel entraînement musculaire. Mes muscles… Quand pourrais-je à nouveau tirer sur mon bras, fortifier biceps et triceps ? Les larmes me viennent aux yeux. Heureusement que le directeur n’est pas là, je le giflerais.

sur un trapèze il y a 27 ans !

lundi 15 avril 2013

Une période de doutes, ma vision de l'écriture



Jeudi dernier, j’ai fait part d’un moment de découragement sur Twitter : je me demandais si ça valait la peine de continuer à écrire. Je me le demande toujours d’ailleurs. J’ai reçu en retour des tweets plein de sollicitude. Et pourtant… Je ne partage pas du tout leur vision de l’écriture.

@antoinesire me dit : « pour le plaisir d’inventer et de contempler son invention ». C’est vrai Antoine, dans l’écriture il y a une part d’invention. Tout part de là d’ailleurs : il faut beaucoup d’imagination pour inventer une bonne histoire, qui tienne debout comme j’ai coutume de le dire. Il faut aussi de la rigueur, afin de ne pas partir dans tous les sens dans l’acte d’écrire, de ne pas perdre le fil. Il faut prendre le temps de préparer l’écriture : documentation, synopsis. Et enfin il faut écrire, relire, corriger, améliorer… En bref, le temps de l’invention est court, celui du travail est long.

@tulisquoi propose une réponse à mes doutes : continuer « par nécessité de dire ». C’est une excellente remarque ! Mais dire à qui ? A des lecteurs. Aller à la rencontre de lecteurs est une chose difficile. Vous écrivez un livre, vous vous y investissez, vous y mettez tout votre cœur. Et puis votre livre ne rencontre pas son public. Comment ne pas douter ensuite ? Quelle dose de volonté faut-il pour décider de se lancer dans une nouvelle aventure littéraire, si c’est pour aboutir à un résultat comparable ?

A de semblables questions, @centrino12345 apporte un élément de réflexion : « il ne faut pas avoir peur, faut oser, mieux vaut essuyer des échecs que vivre de remords. » Et là je ne peux que m’incliner devant la force de cet argument, qui peut s’appliquer à n’importe quel rêve, n’importe quelle activité. Sauf que… je pourrais dire que j’ai déjà essayé. J’ai quatre publications à mon actif, seul « Impression Morvandelles » a eu un certain succès. Qui s’explique aisément : cela peut être perçu comme de la littérature régionale, qui attire les lecteurs dans les salons du livre régionaux. Mes autres textes rentrent dans la catégorie « littérature générale », plus difficile à faire connaitre. L’interrogation reste donc : faut-il essayer encore ?

@imelcho risque une autre hypothèse à la raison de l’acte d’écrire : « l’envie d’écrire pour garder une trace dans le futur ». J’avoue à cet ami que je n’avais jamais envisagé la chose sous cet angle, qui mérite réflexion.

Un autre correspondant twitter avec qui je n’vais pas l’habitude de correspondre m’a posté des messages très bien écrits. @FabDeRotrou me parle de l’acte d’écrire :
« Ecrire c’est s’exprimer, raconter, dire, mesure le silence, aimer les mots, jongler avec les phrases »
« Ecrire c’est se souvenir, c’est conquérir, c’est attendrir »
« Ecrire est un besoin, donc pas baisser les bras. Continuer ! »
Tout ceci est vrai, mais ne constitue pas un véritable but. Le vrai but reste « être lu ». Même si c’est pour s’entendre critiquer votre style, votre histoire, que sais-je… C’est dur, mais on a un aboutissement.

Chers amis, deux personnes m’ont dit comprendre mes doutes : Artin Dilukeba, jeune auteur rencontré sur un salon du livre, et @AudeLeCorff, écrivain elle aussi. Deux romanciers. C’est pourquoi je me dis que votre vision de l’auteur qui écrit d’abord pour lui-même est une vision trop romantique de cet art. Nous autres les auteurs sommes comme les chanteurs, les peintres ou les cinéastes : ce que nous faisons, c’est pour toucher un public. Lui parler. Lui plaire. Certains auteurs sur les salons du livre appellent le fait de parler de leur livre pour le faire acheter aux visiteurs « faire la pute ». Ils n’ont pas d’états d’âmes, ils savent qu’il faut le faire. Mais c’est bien pour une seule et unique raison : savoir que son livre a été lu par des personnes parfaitement étrangères à votre cercle d’amis, de connaissances. Qu’il vit sa vie, touche des inconnus, enchante ou irrite, peu importe, mais qu’il est vivant.

Les seules questions valables sont donc : est-ce que ce que je propose au public est correctement écrit ? Est-ce que les sujets le touchent ? Est-ce que je fais bien ma pub ? A toutes ces questions je n’ai pas de réponse. Et ce sont elles qui me font douter. Qui font que l’envie d’écrire n’est plus tout à fait là. Enfin si, elle est là, très présente, j’ai un beau projet, mais je crains qu’il ne soit vain.

Peut-être faut-il revenir un peu en arrière, travailler des nouvelles car c’est moins long et candidater à des concours. Tenter de trouver des réponses dans les retours que je pourrais avoir de ce côté.

Bon, je crois que je vais arrêter de me plaindre, rentrer dans ma coquille et réfléchir. Mais un jour il faudra que je vous raconte la genèse de « D’un monde à l’autre », mon investissement personnel en plus de ma vie professionnelle et personnelle, et vous comprendrez pourquoi ces doutes.

lundi 8 avril 2013

Quand le livre devient film.




Avant-hier, un post sur Google+ : une critique (enthousiaste) de « le parfum » de Patrick Suskind. Et bien entendu, dans les commentaires le film est évoqué. J’ai aimé le livre, pas le film.

Hier, découverte en lisant la critique dans Télérama : le film « perfect mothers » est inspiré du livre « les grand-mères » de Doris Lessing. Je n’ai pas été charmée par le livre, pas envie de voir le film. 



Cela m’a amené à réfléchir : que se passe-t-il quand le livre devient film ?  Résumons en mots simples : j’aime pas.

Pourquoi me direz-vous ? Parce que j’aime lire. Et parce que je suis une visuelle. Quand je lis, je vois les lieux, les personnages, les couleurs. J’entends les voix. Je me représente l’histoire à ma façon, avec mes yeux, et mon imaginaire mêlé à celui de l’auteur.

Et pour dire la vérité, je n’ai pas envie de confronter mon imaginaire à celui du réalisateur ou du scénariste qui s’est approprié le roman. Autant j’aime me plonger dans celui de l’écrivain, autant je résiste à tout autre.

Et bien entendu, plus j’ai apprécié le livre, moins je suis encline à me laisser imposer une iconographie sans doute respectable, sans doute vraisemblable, mais qui n’est pas la mienne.

Vous vous en doutez, dans ce cas je peux être extrêmement réfractaire au choix des acteurs. Comment imaginer une seule seconde Gérard Depardieu, lourd et vulgaire, jouant Edmond Dantès puis le Comte de Monte-Cristo, jeune homme aérien puis homme digne ? Comment envisager Daniel Craig, si propre sur lui, dans le rôle du journaliste vieillissant de Millénium ? (Ici je sens quelques cheveux se hérisser sur des têtes. Que voulez-vous, ces acteurs ne correspondent pas à l’image que je me suis fait des personnages).

Dans ce constat négatif, quelques perles surnagent, bien sûr. La magnifique adaptation du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson. Faut dire que Tolkien lui a facilité la tâche en étant assez descriptif. J’aime beaucoup aussi les téléfilms tirés des enquêtes de l’inspecteur Vallander de Henning Mankell. Kenneth Brannag était sans doute le Vallander. Et aucun doute à travers ces exemples : ce que le réalisateur voit dans le livre, c’est aussi ce que j’y vois. C’est pour cela que ça fonctionne.

J’entends au fond à droite une question : dans le cas d’un livre que je n’ai pas aimé, pourrais-je aimer le film ? Difficile à dire… Quand je n’ai pas aimé le livre, je n’ai pas envie de voir le film. Il faut des arguments convaincants pour que je sois tentée. D’ailleurs je ne trouve pas d’exemple. Triste ? Je ne sais pas…

Il reste un dernier cas : le livre que je n’ai pas lu et qui est adapté en film. Et bien là, soyons honnêtes :  la magie opère. J’ai beaucoup aimé « beaucoup de bruit pour rien » (encore Kenneth Brannag, un sacré bonhomme) et « orgueils et préjugés », par exemple. C’est même grâce au film que je me suis décidée à lire le roman de Jane Austen et là… mon imaginaire a fonctionné, et les images n’étaient pas celle du film.

Donc et en résumé : quand le roman devient film, si j’ai lu le livre, j’aime pas, et si je n’ai pas lu le livre tout peut arriver…

Et vous ?

vendredi 5 avril 2013

Le Philtre



Aujourd'hui, A l'encre bleu nuit a le plaisir d'accueillir Jean-Claude Duponq, ami internet et littéraire de longue date, et son blog Ecritève 
   Nous avons échangé deux photos et écrit aoutour d'elles... Mon texte se trouve donc... chez lui :-)
 
   Un grand merci à Brigitte Célérier qui chaque mois publie sur son blog la liste des vases communicants.

"ne pas écrire pour, mais écrire chez l'autre".





Une page musicale s’ensuivit sur le poste en bois et Eddy Constantine entonna « c’est si bon »

Concours de circonstance ? Albert ne put retenir de rire de bon coeur : en pleine période de guerre froide et de combats en Indochine, ces chants légers avaient du bon. Lui n’était pas parti, trop vieux pour les combats.

Se déhanchant avec un plaisir non dissimulé sur l’air endiablé « bear cat » de Rufus Thomas, l’homme se dirigeait déjà vers la porte d’entrée à deux battants :

- À tout à l’heure, la mère, je m’en vais chez la Germaine ! 
- À tantôt mon gars !

La Germaine habitait une humble demeure, en bord de route, au centre du village voisin, dans le tournant, non loin de l ‘épicerie. Toujours parée d’innombrables plantes fleuries à souhait, la maison était moins bien entretenue qu’elle l’était du temps de Jules. Jules, c’était le mari ; depuis son décès, pour les travaux, il fallait qu’elle demande et demander; la Germaine n’aimait pas ça.

Un mot était croché à la vitre de la porte-fenêtre mais Albert avait vu bouger à l’intérieur.

« Sûr qu’elle est là, se dit-il, elle se terre encore dans son chagrin, l’hiver, trop rigoureux, n’a pas du arranger les choses »

Sur un banc, à l’extérieur, une grande ardoise était posée et on pouvait y lire dans plusieurs langues un texte trop explicite : « aimez-vous l'un l'autre et vous serez heureux. C'est aussi simple et aussi difficile que ça ».

Albert frappa au carreau et entra :

- Bonjour la Germaine, j’viens voir si t’as besoin de quelque chose.
- Bonjour Albert.
- Comment te portes-tu ?
- Pas très bien, le Jules me manque.
- Je sais, c’est douloureux.
- C’est de ma faute s’il est mort, j’aurais du vérifier la validité de son vaccin, le pousser chez le docteur.
- Dis pas ça la Germaine
Mais la Germaine poursuivait déjà
- Tu sais comme il était, trop dur, trop fier, j’aurais du être attentive lorsqu’il s’est blessé l’an dernier avec la faucille. Je m’en veux, tu ne peux pas savoir comme je m’en veux.
- Non, c’est ..
- Lorsque je m’en suis souciée, la maladie s’en était déjà emparée …

Elle s’arrêta tout à coup, sa plainte avait surpassé la bienséance :

- Mon Dieu, je manque à toutes les politesses, veux-tu un café Albert ? Il est sur le bout du poêle, je le tiens bien au chaud.

Le café, resté à bouillonner au coin du fourneau, n’enchantait guère Albert mais il accepta pour ne pas ajouter à sa peine. Il profita même de l’instant pour rebondir :

- Tu ne m’as jamais dit, tu l’as rencontré comment, le Jules ?
- Je l’ai rencontré à Rouen, il y est né. Il m’a séduit par le récit de ses aventures, il avait participé à différentes campagnes, fait dérailler des trains pour stopper l’ennemi, serré la main du Grand Charles et je t’en passe..
- Je ne connaissais pas cet aspect de la vie de Jules.
- C’est parce que tout était faux.
- Faux ?
- Faux, pris dans l’exode, ce journalier avait fui et s’était réfugié en zone libre. Toute son histoire de vie était tirée de ses maudits livres.

Albert fronce les sourcils :

- Pourquoi maudits livres ?

Pour toute réponse, la Germaine le tira vers une autre pièce, une sorte d’arrière-cuisine bien éclairée. Le long d’un mur trônait un désordre inextricable. Un bahut privé de ses portes regorgeait de revues, de journaux jaunis, de livres anciens abimés, usés à force d’être lus. Au dessus, une petite pendule Art Déco des années 30 avait, définitivement, refusé de ponctuer les heures, des pots à épices en faïence de Lorraine étaient juché sur un haut de buffet bien trop large pour le bahut. Doté de portes vitrées, on pouvait y découvrir le rêve de tout bibliothécaire, c’était plein à craquer de livres de toutes dimensions et de toutes couleurs.

Germaine souriait malgré la chape de plomb qui l’avait enseveli.

- Tu vois le vélo posé contre le bahut, il le prenait pour se rendre sur la place du village. Une nuée d’enfants était toujours attachée à ses basques. Ils aimaient tant l’entendre conter ses hauts faits. Pendant longtemps, il s’était inventé un roman de vie pour me séduire et me ravir. Il s’était décidé à m’avouer le subterfuge, il y a peu ; avant sa mort. Il craignait tant de me décevoir mais je l’avais appris bien avant.
- Vraiment ?
- Oui, je t’assure Albert, cet homme était une véritable bibliothèque ! Je ne voulais pas le blesser, alors ; je me suis tue.

Albert se tourna vers une table basse sur laquelle était posé quelques bouquins au format inhabituel, il ne put s’empêcher d’aller voir de plus près. La chère dame l’interpella :
- C’est tout nouveau, on le nomme « livre de poche » et tu peux t’en procurer pour 2 francs, soit le prix d’une revue. Une vraie révolution, n’est-ce pas ?
- C’est certain.
- Tiens, c’est le premier de la série, « Koenigsmark » de Pierre Benoit.

Albert prit le livre, le feuilleta un peu puis lut la toute dernière phrase. Il ne put s’empêcher alors de penser à un autre rouennais du siècle précédent.

- Il faut que tu arrêtes de t’accuser la Germaine.

Prenant un morceau de papier et un porte-plume, il se mit à écrire cette simple phrase :

« Ainsi mourut Jules pour avoir trop prisé le philtre de Gutenberg ».



















mardi 2 avril 2013

Rencontre ratée avec Borges



J’ai racontée ici même (lien) comment la lecture de Borges, idée qui m’effrayait depuis longtemps, est devenu une évidence… Hélas, la rencontre tant attendue n’a pas eu lieu.

J’ai lu une dizaine des treize textes qui composent le livre de sable.  L’écriture est simple, belle, fluide. Premier « conte » : Borges rencontre un autre lui-même, plus jeune de cinquante ans, sur un banc dans un parc ou au bord du lac de Genève. Une belle fable, avec une morale – on n’apprend rien des autres, et surtout de soi-même - mais déjà un hic : la fin ne revêt pas ce caractère inattendu qu’ont généralement les nouvelles, surtout sud-américaines.

S’ensuivent alors des textes bâtis sur les mêmes briques : un narrateur qui semble être un double de l’auteur raconte des faits qui lui ont paru extraordinaires, mais qui peuvent laisser le lecteur froid. A la fin du conte, la situation que le lecteur laisse derrière lui est d’une extrême banalité. On ne peut s’empêcher de se dire « et alors ? » comme si on attendait une suite ou une morale.

En plus du premier, deux contes m’ont plus accrochée : « utopie d’un homme qui est fatigué » et « le stratagème ».  mais je l’avoue, je me suis lassée de cette lecture que j’ai abandonnée à trois contes de la fin. 

je suis sans doute passée à côté de quelque chose, mais quoi ? 

Chronique d’une rencontre ratée