jeudi 30 octobre 2014

un instant de ma vérité avec Ignacio Del Valle



Vous est-il déjà arrivé, en lisant un roman, de lire sous la plume de l’auteur quelque chose que vous ressentez exactement, sans jamais être arrivé à le décrire ? C’est ce qui vient de m’arriver au détour d’une page de Les démons de Berlin, d’Ignacio Del Valle.

Avant de livrer ces mots, laissez-moi planter le décor : un crime a été commis à Berlin, en avril 1944. Le responsable scientifique du programme nucléaire nazi est retrouvé mort, dans la chancellerie du Reich, son corps git sur la maquette de Germania. Un espagnol, Arturo, un ancien de la División Azul, est chargé de l’enquête.

La División Azul, vous connaissez ? Une division de volontaires espagnols franquistes engagés aux côtés de l’armée allemande, remerciement caché de Franco à la Légion Condor, celle qui détruisit Guernika. Autour de ce personnage central, des SS, la Gestapo...  Bref, des gens sympathiques…

Autant dire que dans ce roman de 450 pages, aucun personnage n’a trouvé grâce à mes yeux.

Mais il faut rendre à l’auteur ce qu’il mérite : quelle magistrale description de Berlin quelques jours avant la fin ! Cet univers crépusculaire est rendu avec un sens très fort de l’épopée, et de l’entrelacement inévitable de la grande et de la petite histoire. En arrivant à la fin, je me suis rendue compte que j’ignorais tout de ce qui s’est passé en Allemagne dans cette ultime phase de la guerre, et surtout après : comment ce pays s’est-il relevé, quel système politique s’est mis en place ?

Vous allez me trouver bizarre : l’extrait que je vais vous livrer n’a strictement rien à voir avec tout cela. Il décrit un homme qui tombe d’un immeuble. Il décrit aussi un rêve que je fais souvent depuis mon enfance. En lisant cette phrase, j’ai lu un instant de ma vérité. Allez savoir pourquoi…






« Arturo assista à cette chute interminable et désespérante qui terrifie les hommes et que les enfants redoutent, cette chute des rêves, où les mains cherchent en vain un point d’accroche, qui dure une seconde infinie et où apparaissent dans toute leur cruauté la fragilité, la vulnérabilité, la mortalité, la soumission du corps humain à des lois qui lui sont absolument étrangères ».

vendredi 24 octobre 2014

Petits bonheurs de lecture #10: Erri de Luca



Les #lecteursducanal ont choisi de lire Erri de Luca, au terme d’une longue opération de vote entre différents auteurs étrangers. Je me suis donc replongée dans trois chevaux, beaucoup apprécié à la première lecture, et ai découvert Le tort du soldat.

L’écriture d’Erri de Luca est sèche, elle tient en peu de mots. Cependant ces récits laconiques parlent en profondeur du cœur et de l’âme de ses héros, ce qui me touche, même si j’ai évoqué ma gêne avec des dialogues trop littéraires dans un précédent billet.

L’écrivain trouve des accents de poésie et devient presque disert quand il parle des langues et des livres. Vous savez comme ça m’intéresse, les langues et les livres !  J’ai eu donc envie de partager quelques extraits avec vous.

Dans Le tort du soldat, le yiddish est un personnage presque à part entière :

« Le yiddish ressemble à mon napolitain, deux langues de grande foule dans des espaces étroits. Elles sont donc rapides, composées de mots apocopés, capables de se faire de la place au milieu des cris. Elles ont la même quantité de mendiants et de superstitions. Elles sont expertes en misères, émigrations et théâtres. Elles utilisent des proverbes identiques, et railleurs : "Mieux vaut apprendre le métier de barbier sur le visage des autres."
  Elles disent du progrès : "Un coup de pied dans le derrière est aussi un pas en avant." »

« En hébreu émet est féminin, mais devient masculin en Yiddish, perdant en consistance. En hébreu elle est absolue, en yiddish elle est relative. C’est pourquoi le vieil homme qui prononce la phrase dit : "pure vérité". Il doit la renforcer par un adjectif. En hébreu, elle existe seule et c’est tout. Il est des mots qui exigent le féminin, vérité en fait partie. »

Dans Trois chevaux, le narrateur est beaucoup de choses (un italien qui a émigré en Argentine, un jardinier, un amoureux), mais aussi un lecteur. Ce qui donne l’occasion de quelques belles lignes sur les livres :

« Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu’elles restent à plat. Les livres d’occasion ont le dos détendu, les âges, une fois lues, passent sans se soulever. »

Mais ce lecteur lit aussi les visages ou les arbres :

« (…) au milieu de tous les autres, si marqués, le sien a un air de bonté et un nez solide comme une proue. Les gens qui ont une cloison nasale aussi importante au milieu de la figure sont forcément bons »

« Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie. »

Quant à ce titre fort mystérieux, car aucun cheval n’habite le roman, son explication tient en une phrase :

« La vie d’un homme dure autant que celle de trois chevaux, et tu as déjà enterré le premier. »

mardi 14 octobre 2014

les #lecteursducanal lisent Erri de Luca

Les lecteurs du canal se sont à nouveau réunis par une belle fin d'après-midi au Jardin du Luxembourg. Cette fois-ci, l'auteur était imposé: Erri de Luca (choisi de façon complètement démocratique !)

Nous n'étions que cinq, trois membres de notre petite équipe ayant du déclarer forfait pour des raisons diverses. Les présents ont surtout échangé sur les thèmes récurrents chez de Luca, tous les points par lesquels passent presque tous ces livres.

@fleurdebitume avait lu Montedidio, @schaptal s'était plongée dans Et il dit, @hippo20 dans Le jour avant le bonheur, et j'ai relu trois chevaux et découvert le tort du soldat.

     
             
Une diversité de lecture qui nous a permis d'établir notre cartographie avec confiance.

Nous avons donc relevé:

la montagne
Présente par des sommets (le Vésuve, le Mont Sinaï), ou par des personnages qui aiment l'escalade, comme l'auteur

le peuple juif
 Dans le tort du soldat, un narrateur est spécialiste du yiddish, un autre est un criminel de guerre nazi
Et il dit évoque Moïse recevant les dix commandements
etc...

L'italie, surtout Naples
son pays (sa ville) de naissance, présente dans presque tous ses livres, qu'ils soient ouvertement autobiographiques comme Montedidio, ou plus romanesques comme trois chevaux. 
L'Argentine
Pays ou l'auteur a vécu, il s'inspire de ce périple dans Trois Chevaux
 
La violence
sous des formes très diverses:
- la Camorra dans Le jour avant le bonheur
- une forme de violence verbale forte dans Montedidio
- la guerre des Malouines et un assassinat dans Trois chevaux
- les crimes nazis dans Le Tort du soldat

l'écriture / la lecture
des personnages qui lisent, qui écrivent ...

Nous sommes tombés d'accord pour considérer que son écriture est souvent de l’ordre de la poésie, qu'il dit beaucoup avec peu de mots, qu'il décrit des choses simples qui disent beaucoup (un très bel exemple est le poème qui ouvre le contraire de un, et dont @hippo20 nous a offert la lecture), que ses œuvres sont généralement initiatiques, et écrite d'un point de vue éternellement autobiographique.

Ceci n'empêchent pas les sensibilités d'être plus ou moins réceptives: si @hippo20 ressent une connivence très intime avec l'auteur, j'ai de mon côté été gênée dans trois chevaux par la tonalité des dialogues entre les deux personnages, très littéraires, parfois presque elliptiques et qui ne sonnaient pas juste à mes oreilles. Mais j'ai aussi relevé des phrases magnifiques que j'aurai le plaisir de partager avec vous dans les prochains jours.

Plus gênés encore, deux absents de notre réunion, @marsupilamima et @christogrossi, qui n'ont pas apprécié son attrrance pour les Saintes Ecritures, la mise en scène de son érudition, la "personnalisation de l'auteur en héros".

Bref, un auteur qui ne fait pas l'unanimité et peut même susciter des avis tranchés...


jeudi 2 octobre 2014

Treize livres en attente



Et bien voilà. Je m’étais promis plein de choses, genre « bonnes résolutions », vous voyez ? Ce qui n’empêche pas treize livres d’attendre sur un meuble que je m’y mette.

Que je me mette à quoi, me direz-vous ?







J’avais décidé :

1) d’inscrire sur une liste tous les livres lus dans l’année. Mue par une curiosité personnelle, j’avais envie de savoir combien de livres je peux lire en un an. Je voulais également pouvoir vous dire, vers Noel, mon livre préféré de 2014.

Aujourd’hui Confiteor de Jaume Cabre et Ce qu’il advint du sauvage blanc de François Garde tiennent la corde. Mais tout peut changer dans trois mois…

2) de publier chez Babelio une critique de chaque livre. Autant je peux rattraper le point un, autant pour le deux il me faudrait pas mal de temps. De ce fait, une sélection s’impose.

3) de les classer correctement dans mes nouveaux meubles. Pas de bol, ça déborde déjà ! Sous cet angle, il fait que j’agisse vite. Avant que le désordre ne se propage.

Nous voici donc au bout d’un petit billet, qui ne vise au fond qu’à vous dire que je suis toujours là…