Chères amies lectrices et chers amis lecteurs, j'espère que vous avez du souffle ! Ayant beaucoup de retard je vous inflige ici la liste de toutes mes lectures de septembre à décembre 2022 ! Ceci dit, il y a beaucoup de réussites, de grands moments de lecture, de romans forts dans cette liste, vous pouvez donc avoir envie d'y jeter un œil... et peut-être d'y trouver des idées pour vos prochains livres. Quant à moi je suis un peu triste car cette charmante lectrice peinte par Cole Phillips en 1915 - le tableau s'appelle reading by the bookshelf - ne devait m'accompagner que pour mes lectures de 2022. Je vais donc la quitter... Mais je vous réserve la surprise d'une autre lectrice pour 2023 !
Bon, trêve de bavardages, attaquons cette liste.
Victus Barcelone
1714, Albert Sanchez Piñol
Un jeune homme un
peu rebelle et voyou est formé par Vauban pour devenir ingénieur, ce qui à cette
époque désignait une personne qui savait concevoir les défenses d’une ville, ou
un siège ! Au hasard d’événements historiques, il suivra la guerre de
succession d’Espagne de 1701 à 1714, date de la chute de Barcelone dont il est
originaire. Enrôlé successivement par les deux coalitions européennes qui
convoitent le trône d’Espagne, formé aux stratégies d’assiègement, il défendra
sa ville jusqu’au bout.
Convoquant des
personnages historiques hauts en couleurs, parcourant une guerre impliqua la
France et L’Autriche, ce roman est une grande fresque historique, parfois
émouvante, parfois picaresque, souvent piquante et insolente. Le point d’orgue
le récit du siège de Barcelone, avec les hésitations ou les lâchetés des hommes
de pouvoir et la ferveur du peuple, est poignant. Pas besoin d’être catalan ou
d’aimer les catalans pour être enthousiasmé par ce livre !
H2G2 (Le Guide du Voyageur Galactique) tome 3, La
vie l’univers le reste.
Un très bon cru, j'ai déjà eu l'occasion de vous parler des tomes 1 et 2, le 3 est excellent !
Milwaukee blues,
Louis-Philippe Dalembert
Dans les rues de
Milwaukee, un homme noir, Emmett, a été
tué par un policier blanc, étouffé sous la pression du genou sur son cou.
Plusieurs fois il a dit « Je ne peux plus respirer ».
La vie et la mort d’Emmett
nous sont racontées par plusieurs personnes ayant croisé son chemin : le
gérant d’une épicerie qui s’est méfie de cet homme et a appelé la police, son
institutrice, son entraîneur, puisqu’il était un joueur de foot américain
prometteur, dont les rêves ont été broyés par un accident, ses amis, …
J’ai aimé bien des
choses dans ce roman : sa structure chorale, la progression du récit vers
une marche commémorative, l’absence de pathos, sa terrible résonance avec
l’actualité. La phrase de fin, que je tronque volontairement pour ne pas
divulgâcher sur les différents personnages du roman, contient un espoir que je
voudrais pouvoir faire mien : « Longtemps après (…) que l’on aurait
donné le nom d’Emmett à une rue de cette cité du Midwest (…) peut-être
évoqueraient-ils ensemble les évènements de Milwaukee comme d’une époque
vraiment révolue. »
Chien 51,
Laurent Gaudé
Dans une Grèce qui,
en faillite, a été rachetée par une entreprise tentaculaire, les humains vivent
désormais dans des « zones », selon leur statut social. Dans la zone
3, Zem Sparak, policier, enquête sur une mort troublante.
Laurent Gaudé, à
travers cette dystopie, met en scène de nombreux dangers du monde
moderne : crise climatique, puissance excessive des entreprises, faiblesse
économique de certains pays, etc… Hélas ce récit d’anticipation peine par une
intrigue parfois poussive, des personnages convenus et une peinture du monde
dans lequel ça se passe qui tient plus de l’esquisse… Sur la base d’une telle
idée, une grande fresque avec plus de mise en scène de ce monde dystopique aurait
mieux convenu.
L’anomalie,
Hervé Le Tellier
Je ne sais pas
pourquoi je n’ai pas été attirée par le Goncourt 2020. Un effet peut-être de
cette année si spéciale qui m’avait un peu ôté le goût de lire. Et c’est bien
dommage car… L’anomalie est un livre épatant !
En juin 2021, un
événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous
passagers d’un vol Paris - New York. Parmi eux : Blake, père de famille
respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las
de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses
failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu
culte. Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point
c’était vrai.
Le roman commence
comme un thriller, puis nous embarque dans… des circonvolutions incroyables
autour des personnages, chacun étant une sorte d’archétype, soudain confronté à
ce qu’il y a de plus insondable : soi-même.
Mathématicien,
journaliste, linguiste, membre de l’Oulipo, Le Tellier utilise toutes ses
connaissances dans ce roman d’une construction incroyable, qui converge
impitoyablement vers une fin… qu’ile st impossible de dévoiler ici. Une de mes
meilleures lectures de l’année !
Echec au destin,
Lluis Llach
La reine Bal de
Guifort, seconde épouse du souverain de Magens, est retrouvée morte au pied de
son balcon. Le drame vient fragiliser une succession à haut risque pour ce
royaume occitan qui doit sa survie à la protection de Rome. La reine s’est-elle
donné la mort ou l’a-t-on assassinée ?
J’avais aimé Les
femmes de la Principal (lu en mars), alors on m’a offert Echec au destin. Le
fossé entre ces deux romans est incroyable ! Ici Lluis Llach nous offre
des personnages caricaturaux : un évêque pédophile, un prétendant au trône
genre « masculinité toxique », un jeune prêtre qui a du mal à trouver
sa place… Une temporalité des événements parfois hasardeuse, une guerre contre
une hérésie quelconque qui peine à convaincre, bref… raté.
La constellation
du chien, Peter Heller
Quelque part dans le
Colorado, neuf ans après la Fin de Tout. L’art de survivre est devenu un sport
extrême, un jeu de massacre. Soumis aux circonstances hostiles, Hig, doux
rêveur tendance chasse, pêche et poésie chinoise, fait équipe avec Bangley,
vieux cowboy chatouilleux de la gâchette.
Ceux qui me
connaissent vont penser « encore un roman post-apocalyptique, un roman de
survie ! » Oui cher lecteur, mais sache que celui-ci m’a été offert
par une personne pas au courant de mes goûts littéraires ! Et ce roman en
satisfait deux, puisqu’en plus on peut vraiment le ranger dans la catégorie
nature writing, tant l’exaltation de la beauté et de la souffrance de la nature
est présente.
Disposant d’un
avion, le héros veut à tout prix rejoindre un aérodrome d’où a été émis un
signal, et cette tentative va entraîner beaucoup d’événements. J’ai été tenue
en haleine d’un bout à l’autre, espérant qu’un monde meilleur pourrait se
dessiner. L’écriture est brute parfois, des phrases très courtes, voire pas
vraiment des phrases, et ainsi le lecteur est pleinement dans la tête du
narrateur. Une grande réussite !
Le héron de
Guernica, Antoine Choplin
J’avais beaucoup
aimé La nuit tombée du même auteur, et un roman qui se passe à Guernica en
1937, cela m’intriguait. Eh bien j’ai été profondément déçue. Ce jeune homme
qui peint des hérons dans les marais environnants est attachant, la description
du bombardement est très réussie mais… il y a des choses qui ne collent pas.
Comme le fait qu’en 1937, un prêtre puisse inciter un jeune homme à se rendre à
Paris pour voir Picasso qui va exposer son célèbre tableau pour la première
fois. Antoine Choplin semble avoir voulu laisser la politique de côté, mais
dans ces années-là en Espagne, tout était politique. Et les prêtres n’étaient
généralement pas du côté « rouge ». Son personnage pouvait l’être,
choix du romancier, mais alors il aurait fallu l’expliquer, mettre du contexte.
A son image,
Jérôme Ferrari
Par une soirée
d’août, Antonia, flânant sur le port de Calvi après un samedi passé à
immortaliser les festivités d’un mariage sous l’objectif de son appareil
photo, croise un groupe de légionnaires parmi lesquels elle reconnaît Dragan,
jadis rencontré pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Après des heures d’ardente
conversation, la jeune femme, bien qu’épuisée, décide de rejoindre le sud de
l’île, où elle réside. Une embardée précipite sa voiture dans un ravin : elle
est tuée sur le coup.
Ce roman est très
bien construit, chaque chapitre évoquant une période de la vie de l’héroïne
s’achevant pendant sa messe d’enterrement, dite par son parrain. Jérôme Ferrari
sait rendre palpable la douleur de ceux qui l’entourent, mais il échoue à
m’intéresser à la trajectoire de cette jeune femme. Une rencontre qui ne s’est
pas faite entre ce texte et moi
La ville des
histoires, Jeff Noon
À Histoireville,
tout le monde écrit et peut être happé dans les récits des autres. Mais
certaines histoires ne sont pas bonnes à raconter, malgré les agents narratifs
chargés de les contrôler...
C’est ce qui arrive au détective John Nyquist, qui se réveille à côté du
cadavre de l’homme qu’il était payé à suivre. Le voici piégé dans le Corps
bibliothèque, à la fois la tour de la cité Melville de laquelle il ne peut
sortir et l’histoire dramatique écrite par un certain Obéron. De dangereux
personnages sont à la recherche des pages de ce livre, dont Nyquist a trouvé un
extrait, et ces pages recèlent un pouvoir véritablement envoûtant, voire
mortel.
Ici, on ne guérit pas du virus des mots.
Avec un tel résumé,
voici un livre qui ne peut que passionner une personne amoureuse des
livres ! C’est sans doute pour cela que @schaptal me l’a prêté… A la fois
polar et roman fantastique, ce texte nous propulse dans un univers incroyable,
ou le lecteur a le sentiment que tout peut arriver. Et il se passe des choses
incroyables ! J’ai adoré… jusqu’à trouver le roman un peu long. Encore une
péripétie, encore une, comme si l’auteur n’avait pas envie de s’arrêter. J’ai
lu jusqu’au bout, le climax est bluffant, l’épilogue émouvant, un bon livre
mais un peu trop long.
L’autre moitié
du monde, Laurine Roux
Espagne, années
1930. Des paysans s’éreintent dans les rizières du delta de l’Èbre pour le
compte de l’impitoyable Marquise. Parmi eux grandit Toya, gamine ensauvagée qui
connaît les parages comme sa poche. Mais le pays gronde, partout la lutte pour
l’émancipation sociale fait rage. Jusqu’à gagner ce bout de terre que la Guerre
civile s’apprête à faire basculer.
J’ai
« rencontré » Laurine Roux avec Une immense sensation de calme, une
magnifique lecture. Elle a un talent incroyable pour, avec une grande économie
de mots parvenir à camper ses personnages, décrire ce rapport animal à la
nature et la violence des hommes.
Un tel talent sur
fond de Guerre d’Espagne, j’étais intriguée.
Dans un contexte
historique bien campé, l’autrice développe une histoire tragique, mais réaliste.
La dureté des grands propriétaires à l’égard de leurs paysans, la complicité de
l’église, l’atmosphère révolutionnaire de Barcelone, tout y est. Y compris
les conséquences tragiques de la guerre civile.
On était des
loups, Sandrine Collette
Ouf ! Un livre difficile
à lire, non pas pour la plume de Sandrine Collette, toujours juste et proche de
ses personnages, mais à cause du personnage principal !
Ce soir-là, quand
Liam rentre des forêts montagneuses où il est parti chasser, il devine aussitôt
qu’il s’est passé quelque chose. Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l’attend
pas devant la maison. Dans la cour, il découvre les empreintes d’un ours. À
côté, sous le corps inerte de sa femme, il trouve son fils. Vivant. Au milieu
de son existence qui s’effondre, Liam a une certitude. Ce monde sauvage n’est
pas fait pour un enfant.
En réalité Liam n’aime
pas son fils. Non pas qu’il le déteste non, mais il n’a développé aucun
attachement pour lui, le voit comme un boulet. Et cette absence d’amour va le
mener à des extrémités insupportables… Je me suis demandé si j’allais continuer
à lire. Et à cet instant, il s’est passé quelque chose, presque rien dans ma relation
au livre qui m’a poussée à poursuivre et j’en suis ravie !
Comme toujours la romancière
excelle à nous faire ressentir les émotions, les pensées de son personnage, et
à décrire la nature, assez hostile et pourtant nourricière, ainsi que le
rapport de Liam à la nature, son histoire, tout ce qui fait que cet homme est
ce qu’il est.
Un livre coup de
poing que je suis contente d’avoir lu !
L’Odyssée de
Pénélope, Margaret Atwood
L’Odyssée vue par
Pénélope qui, hantée par la mort de ses servantes, raconte depuis les Enfers sa
propre version de l'histoire, celle d'une femme, d'une épouse, d'une mère et
surtout d'une reine bien plus lucide et plus forte que ce que les hommes ont
voulu croire jusqu'à aujourd'hui.
Un régal ! Le
ton de Pénélope est ironique, impertinent, parfois rageur… Et cette vision
féminine, féministe de l’histoire est tellement réjouissante ! Ce roman
est construit sur une alternance de chapitres, un ou Pénélope s’exprime, un ou
un chœur antique, celui des servantes, fait contrepoint. Ah ces servantes qui n’ont
jamais pardonné à Ulysse et le poursuivront de leur vindicte jusqu’aux Enfers !
Ah, cet Ulysse incapable de rester, bien qu’il ait envie d’être avec Pénélope !
Ah, cet affrontement éternel entre Pénélope et Hélène ! Tout ceci permet
un récit enlevé (hihihi) et un finale… inattendu.
Encore une lecture
que je vous conseille.
A bientôt pour de nouvelles découvertes littéraire !