dimanche 10 août 2025

Extrait #10 : des livres et du classement

 Le cœur de l’été et ses lectures m’offrent l’opportunité d’évoquer le classement des livres. C’est un sujet dont il a déjà été question ici, ou @marsupilamima a évoqué sa pathologie des livres, et

Quelle surprise qu’un roman aborde ce sujet, et en plus d’une façon… originale !

 

Un roman qui se passe en montagne lu... en montagne ! 

 Plantons le décor : une frontière entre deux pays ennemis, sur l’Altiplano dans la Cordillère, à 5000 m d’altitude. Deux postes-frontières se font face, au-dessus de toutes les villes, de toute vie ou presque, dans un désert de roches et entourés de volcans.

 Dans l’un des postes-frontières, le lieutenant Costa peine à maintenir ordre et discipline. Dans l’autre, le chef, un sergent, est remplacé par une femme, une capitaine. Et tout un équilibre incertain vacille alors.

 Le lieutenant Costa fait passer le temps en lisant. Mais tout comme ses subordonnés, ses livres semblent prendre des libertés.

Extrait.

En jetant un œil aux livres empilés sur son bureau, il se dit qu’il devrait mettre de l’ordre, mais il différait cette besogne depuis des années. Ces volumes reliés de tous genres et tailles ne se laissaient pas aisément ranger, c’était comme s’ils cherchaient eux-mêmes une place et se posaient ici et là selon leur caprice, mais ceux qui s’aventuraient hors de la chambre finissaient dans le feu ou entassés dans une remise par des mains invisibles, qui ne pouvaient être que celles de Quipildor[1].

 Et chez vous, les livres choisissent-ils leur place à leur convenance ?

Extrait de Roca Pelada de Eduardo Fernando Varela, traduction François Gaudry

 [1]Sergent ayant le rôle d’adjoint du Lieutenant Costa

samedi 5 juillet 2025

des livres et du crochet

 

Depuis que je note tous les livres lus chaque année, donc depuis 2014, je lis en général entre 35 et 40 livres par an.

A la fin juin de cette année, j’en ai lu 12, ce qui fait un potentiel de… seulement 24 cette année.

Usuellement, c’est à ce stade du raisonnement que d’aucuns pourraient argumenter, se justifier :

  •       Ouiiiiii mais j’ai affronté des pavés, ce qui est vrai : Le Tout de Dave Eggers et La mort immortelle de Liu Cixin ne se lisent pas en 5 mn.
  • Alors tu comprends, j’ai été très fatiguée, je ne lisais pas beaucoup car je n’en avais pas la force, ce qui m’est arrivé en mai et juin.
  • J’ai été très occupée, beaucoup de travail, des activités de toutes sortes et finalement, c’est mon temps de lecture qui en a pâti (vrai aussi).

D’autres pourraient mettre en avant que, au fond, quelle importance tout ça ? Ce qui compte c’est le plaisir de la lecture, qu’explorer des romans ou des essais, ce n’est pas une compétition, et que la performance n’est pas un sujet.

Et tous ces raisonneurs auraient raison. Alors pourquoi je vous en parle ? A cause de mon projet de plaid aux couleurs des couvertures des livres lus !

Petit rappel pour ceux qui ne sont pas au courant.

En début d’année, je suis tombée sur une publication Facebook qui m’a attirée : deux femmes ont réalisé des carrés au crochet de la couleur de la couverture de chaque livre qu’elles avaient lu, puis les ont assemblés en un plaid. Incroyable ! Un projet qui combine mes deux hobbies ! Alors je me suis lancée.

Et ça donne des réalisations de ce type :

 


Puis je me suis rendu compte qu’assembler ces carrés donnerait un résultat peu esthétique, alors j’ai décidé d’ajouter un dernier tour de la même couleur pour tous les carrés, comme ceci :

 


Enfin j’ai mesuré les carrés. Ils font environ 13 cm de large. Pour un plaid d’une dimension agréable, dans lequel on puisse se lover (un peu) il faudrait a minima 81 carrés, composant un carré de 9 * 9. Les bons en maths, ne me dites pas que ça fait un peu juste comme plaid, je le sais. Lisez plutôt la suite.

Parce que c’est là que mon rythme de lecture réduite est un problème. A 24 livres par an, il faudra presque 3 ans et demi pour avoir lu assez de livres et crocheté tous les carrés. A 40 livres par an, mon rythme moyen depuis plusieurs années, à peine plus de deux ans seraient nécessaires.

Alors, dois-je me ressaisir et me plonger un peu plus dans les livres, ou laisser faire ? Je suis partagée entre mon envie que ce projet au crochet avance, ne dure pas une éternité, et mon envie de ne pas me brusquer. Deux envies clairement contradictoires. Pas tout à fait un choix cornélien, mais presque.

Avez-vous deviné la suite ? je vous la livre : je procrastine. Je repousse la décision et je laisse faire. Et ce n’est peut-être pas grave. Si vous voulez, je vous tiendrai au courant 😉si je passe au braquet supérieur, ça vous dit ?

lundi 16 juin 2025

les 25 meilleurs livres du siècle, merci Télérama !

 Faites-vous partie comme moi de ces personnes qui adorent détester Télérama ?

 Que votre réponse soit oui ou non, laissez-moi vous raconter mon dernier gros agacement avec ce magazine… et toute l’ambiguïté de cet énervement.

 Quand j’ai vu cette une : « les 25 meilleurs livres du XXIe siècle », mon sang n’a fait qu’un tour.  J’ai fulminé. Ronchonné. Grogné entre mes dents.

 « Mais tu déconnes, Télérama ! Nous ne saurons jamais quels romans seront les meilleurs de ce siècle ! Il faudra laisser le temps faire son œuvre, que la poussière retombe, que les romans insignifiants disparaissent, et que les meilleurs surnagent. Nous serons morts. Et puis comment savoir maintenant, en 2025, que ces romans dont tu parles dans tes pages seront encore lus en… 2125 ? Bref tu ne t’enverrais pas un peu en l’air, là ? »

 Et puis… difficile de ne pas être curieuse. De ne pas jeter un œil froid sur les pages en question, en haussant un peu les épaules ou les sourcils. Et de ne pas finir par se prendre au jeu et finalement lire avec sincérité ce palmarès.

 Il y a ceux que je n’ai pas lu, ceux que je ne lirai jamais, ceux au bout desquels je ne suis pas arrivée, ceux que je ne connais pas, ceux que j’ai aimé aussi et enfin ceux que j’ai envie d’inscrire sur ma liste.

 Vous me suivez ? Visite guidée de cette liste en toute subjectivité !

 25. La carte et le territoire, Michel Houellebecq. J’ai horreur du personnage et de la complainte au pauvre mâle blanc qui se ne reconnait plus dans notre époque. Je ne lirai plus cet auteur.

 24. Une histoire d’amour et de ténèbres, Amos Oz. Je ne connais pas, le sujet a l’air passionnant – les mémoires de l’auteur, son enfance à Jérusalem- mais je ne suis pas tentée.

 23. Neige, Orhan Pamuk. J’ai essayé, j’ai calé. Pas pu m’expliquer pourquoi, le sentiment de passer à côté. Peut-être pas le bon moment, peut-être pas mon type de lecture.

 22. Les argonautes, Maggie Nelson. Je ne connais pas.

 20 ex-aequo. Purge, Sofi Oksanen. Je ne connais pas non plus.

 20 ex-aequo. La plus secrète mémoire des hommes, Mohammed Mbougar Sarr. Un roman complexe, qui tisse des liens étonnants entre des lieux des personnes, des époques. Une lecture que j’ai beaucoup appréciée !

 19. La bascule du soufre, Herta Muller. Je ne connais pas.

 18 ex-aequo. Underground railroad, Colson Whitehead. Je n’ai jamais lu cet auteur, mais j’ai souvent été tentée. Qu’il soit dans ce classement augmente ma curiosité.

 18 ex-aequo. O, Miki Luikkonen. Cent personnages souffrant toutes d’une psychose, sept journées : ca me parait un tantinet compliqué, pas envie de me plonger là-dedans.

 16. La fête au bouc, Mario Vargas Llosa. Est-il possible de dire que je me suis ennuyée en le lisant ? Et que les convictions économiques très libérales de cet auteur me tiennent éloigné de lui ?

 15. La végétarienne, Hang Kang. Elle a reçu le Nobel en 2024, je n’en avais jamais entendu parler avant car elle avait été peu traduite en français. Une occasion de la découvrir ?

 14. Kafka sur le rivage, Haruki Murakami. Une belle part d’onirisme et fantastique dans ce texte très romanesque, j’ai pris plaisir à le lire. Mais je m’interroge : si c’est vraiment une fable, comme le dit Télérama, quelle est sa morale ?

 13. La Maison des feuilles, Mark Z. Danielewski. A ce stade je dois reconnaître que je commence à être vexée d’encore ne pas connaître.

 12. Solénoïde, Mircea Cartarescu. Bis repetita…

 11. Le Lambeau, Philippe Lançon. L’attentat contre Charlie Hebdo m’a profondément marquée. Pas osé lire ce texte, par peur d’être submergée par l’émotion

 10. Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie. Une autrice dont on parle beaucoup pour son dernier livre, L’inventaire des rêves. A rajouter sur ma liste, indéniablement !

 9. L’adversaire, Emmanuel Carrère. Pas passionnée par les grands crimes et leurs mystères, je n’ai pas lu ce livre. Mais il a été lu à la maison et apprécié !

 8. L’année de la pensée magique, Joan Didion. Il y a quelques années je m’émouvais sur ce blog de lire peu de livres écrits pas des femmes. Une amie m’a conseillé Joan Didion (entre autres), il serait donc temps que je me lance.

 7. Les Livres de Jakób, d’Olga Tokarczuk. Encore un Nobel que je n’ai pas lu ! Il y en a beaucoup, des Nobel, remarquez, et aussi pas mal que j’ai lus. J’en ai parlé dans cet article.

 6. Les Années, Annie Ernaux. Si la plume d’Annie Ernaux est superbe, je ne suis pas fan de cette littérature qui ne raconte rien ou peu. C’est pourquoi j’ai du mal avec Modiano, et avec Ernaux.

 5. La Tache, Philip Roth. Un auteur qui ne sera hélas jamais Nobel (il y en a beaucoup dans cette liste). La Tache est un roman impressionnant, qui donne à réfléchir, et qui n’a hélas rien perdu de son actualité.

 4. La Route, Cormac McCarthy. Avec presque rien McCarthy compose un récit haletant, pesant, il nous renvoie un miroir grossissant de l’humanité. Formidable ! Et puis j’aime le post-apocalyptique, il faudrait que j’en parle ici, un jour.

 3. La Fin de l’homme rouge, Svetlana Alexievitch. Pas lu mais il a été lu à la maison, perçu comme marquant, dur, racontant des choses inimaginables.

 2. Austerlitz, W.G. Sebald. Ne découvrant cette liste, ma moitié voulu le lire. Il lui a semblé qu’il fallait s’accrocher, qui qu’il fallait être dans le bon état d’esprit. Calage au bout de 20 pages.

 1. 2666, Roberto Bolaño. J’ai calé, trop difficile à lire. Triste de cet échec.

 La lecture complète de ce palmarès m’inspire quelques réflexions.

 D’abord, il est élitiste. Normal me direz-vous, puisqu’il s’agit de rechercher les meilleurs textes. Mais quand je constate que j’en ai lu seulement 6 et que j’ai calé sur 2 autres, je me demande qui a pu lire tout cela. Tout simplement les personnes qui ont participé à le construire : des écrivains, éditeurs, libraires, traducteurs, critiques universitaires français et internationaux. Je me demande à quoi ressemblerait le palmarès du grand public. En tous cas le mien serait sans doute plus accessible à tous que celui-ci.

Ensuite, une belle présence des Nobel de littérature. Ce qui valide que c’est un prix pertinent, même s’il récompense parfois des auteurs difficiles à lire.

Enfin, il me confirme que les palmarès c’est bien beau, ça peut fournir des idées de lecture, mais qu’au fond rien ne compte plus que le plaisir de lire. Un roman de gare, un polar, un texte feel-good, ça peut valoir autant qu’un chef d’œuvre en termes de plaisir. Eprouver du plaisir en lisant, même un livre dur, une histoire très noire, un essai un peu technique, c’est la porte ouverte à apprendre quelque chose, à s’enrichir de sa lecture. Un grand texte trop aride pour le lecteur moyen, disons moi, louperait cet objectif.

 Reste la question vertigineuse du livre qui fait réfléchir, voire qui transforme votre vie. Sans cette liste s’en trouvent certainement quelques-uns. J’en ai rencontré pas mal de la première catégorie, et j’adore ça. Mais aucun de la seconde. Et vous ?


 Si vous voulez en savoir plus sur ce palmarès, l’article (réservé abonnés) est ici

 

dimanche 29 décembre 2024

The french title and the original one / El título francés y el original

 

Récemment (enfin il y a déjà quelques mois), j’ai lu Ouragans tropicaux de Leonardo Padura. Par hasard, je regarde les mentions habituelles en début de livre et je découvre que le titre original, c’était Personas decentes, qui peut se traduire par Des gens honnêtes. Rien à voir avec le titre en espagnol ! 

 

 

Je suis tombée des nues, dans ma grande naïveté je ne m’étais jamais posé la question des titres originaux, et je pensais que la littérature avait un peu échappé à ce syndrome du monde du cinéma.

 Quel intérêt de modifier le titre choisi par Padura ? D’aucuns rappelleront que c’est souvent l’éditeur qui choisit le titre, mais cela se fait rarement contre l’auteur. Par ailleurs, le roman utilise une fois l’expression personas decentes, et une fois l’expression ouragans tropicaux. Quiconque a lu le livre sait que tous les personnages ou presque sont des crapules, ce qui donne une ironie assez mordante au titre de l’édition cubaine.

 Ouragans tropicaux me parait un titre plus racoleur, avec la pointe d’exotisme qui fait acheter le lecteur français, mais qui dénature un peu l’esprit du roman, même si ces mots y sont utilisés.

 A ce stade de la réflexion, j’ai soudain réalisé que cette transformation du titre dans l’édition française était peut-être plus courante que je ne le pensais. Je me suis alors plongée dans ma bibliothèque. Voici quelques exemples qui m’ont contrariée (ou pas) :

 Les secrets de Ciempozuelos, d’Almudena Grandes, s’intitule en espagnol La madre de Frankenstein (la mère de Frankenstein). Le titre français a du sens puisque l’intrigue se déroule dans un établissement psychiatrique qui se nomme Ciempozuelos, bourré de secrets terribles. Le titre espagnol est légitime aussi du fait de sa signification pour le héros. Et il faut bien avouer qu’il ne marque pas le côté hispanique du roman, au contraire de la plupart de ses autres romans traduits.

 Le silence de Dennis Lehane s’intitule en anglais small mercies. Difficile de proposer une traduction, il faudrait pouvoir lire le livre en anglais. Mais mercy signifie clémence, compassion, indulgence soulagement, pitié. Nulle mention du silence dans le titre anglais, et d’ailleurs le silence n’est pas ce qui vient immédiatement à l’esprit en repensant au roman. Une modification peut-être inopportune donc.

 L’enfant de la prochaine aurore de Louise Erdrich a pour titre original Future home of the living god, soit la future demeure du dieu vivant. D’accord ça parait un peu fumeux, mais pas plus qu’en anglais. Et pas plus que le titre français, non ? En relisant le résumé (ici), les deux titres ont du sens au regard du sujet. Impossible pour moi de choisir entre les deux hypothèses.

 Le plus costaud en termes de titre : La vie en chantier de Pete Fromm ! Le titre de départ c’est : A Job You Mostly Won't Know How To Do, soit quelque chose comme Un travail que vous ne saurez généralement pas faire. Ce titre est très évocateur de la teneur du roman, puisque le sujet est celui du travail de deuil, quasi impossible pour le personnage principal (résumé ici).

 Enfin, une traduction amusante pour finir : Bournville de Jonathan Coe a été traduit par Le royaume désuni, un trait d’humour que l’éditeur aurait peut-être eu tort de louper, et qui colle parfaitement au roman !

 A ce stade, inutile d’épuiser tous les titres présents sur mes étagères, force est de constater que les éditeurs se permettent des fantaisies parfois à propos, parfois moins. Cela m’attriste car les traductions peuvent faire perdre du sens au titre. Mais il n’est sans doute pas pertinent d’en faire une croisade, il y a bien d’autres sujets plus importants dans le monde. Et comme je choisis les livres plus sur leur sujet que leur titre, ce constat ne changera rien à mes habitudes de lectures !