lundi 30 avril 2012

Racines et ailes: essai sur une figure imposée

Mon père a été invité par un ami à écrire une dissertation sur le thème  "On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes". 

Il a une belle plume et a écrit un texte qui est porteur d'émotion pour moi puisque..je suis sa fille ! 

En plus, il a eu la gentillesse de me le donner pour ce blog. Bonne lecture ! 



                Il est certes bien hardi à nos âges de parler d’avenir… Il serait aussi bien narcissique de se préoccuper de la trace que nous laisserons, si nous en laissons une… Jacques Attali, qui d’ordinaire m’horripile, compare un candidat à la présidentielle à «  un homme marchant à reculons, un balai à la main, effaçant ses propres traces » ; rassurez-vous,  je n’ouvrirai pas une controverse politique, ce ne serait ni le lieu, ni le moment, ni surtout le sujet… Mais l’image est très belle.
Posons-nous alors, dans des limites modestes, une simple question : de quoi avons-nous fait nos enfants les légataires ?

         Je ne parle pas ici d’héritage matériel, ce serait parfaitement vulgaire.  Hélas nous leur léguerons un monde impitoyable, un océan de précarité et d’incertitude, un monde où l’espérance de progrès a changé de continent ou d’hémisphère, mais de cela nous avons été davantage témoins que complices, ou du moins pouvons-nous le penser avec un brin de lâcheté, en guise d’excuse ou de consolation…
        
Pourtant, sans reprendre la célèbre parabole sur la charité et l’aumône, nous n’aurons à rougir de rien si nous les avons dotés de racines et d’ailes.

Les racines sont-elles transmissibles ? Oui, en partie seulement bien sûr, car nos propres racines se nourrissent aussi de souvenirs sédimentés, de notre processus de construction individuelle, et nous ne pouvons partager vraiment notre enfance, l’odeur persistante des matins d’automne lorsque nous partions vendanger… Mais nous serons heureux et fiers si nous avons la conscience d’avoir transmis des valeurs, morales, historiques, matérielles même, une terre maternelle, des paysages, une fidélité… « fidèle, fidèle, je suis resté fidèle, à des choses, sans importance pour vous… » chantait Trenet qui était comme moi à demi catalan… j’ai horreur des renégats, je révère les fidèles…

Avons-nous été contagieux comme porteurs de valeurs ? Oui si nous avons su inspirer et non tenter vainement d’imposer, oui si nous avons su expliquer sans endoctriner, oui si nous avons réfléchi à la valeur de cet héritage, oui si nous avons su accepter l’évolution sans renier les fondements de nos principes….
Une terre disais-je. Une terre où ils puissent retrouver le parfum de leur enfance, une terre où se régénérer, où plonger leurs racines en un mot.
Il n’est rien de plus grave que la perte de sa terre. Les espagnols ont un mot poignant pour qualifier l’exil : « el destierro », la perte de la terre. Et puis souvenez-vous : c’est ainsi que Hercule vint à bout du géant Antée, fils de la Terre , en l’empêchant de toucher le sol dans une étreinte farouche. Je me retrouve en marchant dans mes montagnes pyrénéennes et mes garrigues catalanes. Mes enfants aussi, et j’en suis très fier…
Des valeurs, chacun les siennes, héritées ou acquises… Bien sûr l’éloignement, le temps, idéalisent nos acquis dans le tri sélectif de la mémoire, bien sûr nous ne pouvons supposer être porteurs de la vérité, mais laisser à ses enfants ne serait-ce qu’une parcelle de ce en quoi nous croyons, quelle réussite…

Des ailes pour voler, des chances initiales, la capacité à s’élever, j’y crois aussi beaucoup. Beaucoup d’entre nous, presque tous sans doute, sont des enfants de l’ascenseur social. Les choses n’étaient pas si faciles en fait au temps des trente glorieuses, quoiqu’on en dise… Certes, même armés, nos enfants auront bien du mal dans ce monde difficile, alors mieux vaut les doter d’ailes solides, pas collées à la cire pour reprendre l’image donnée par Zabelge. Le reste, ils le construisent, mais nous pouvons les aider à le faire, ou du moins leur donner l’impulsion initiale, comme les cyclistes sur piste dans les courses de relais.
Oh je ne suis pas naïf sur l’égalité des chances, comme je l’ai appris au contact des authentiques fils d’archevêques, mais ce débat est secondaire, comme l’est le concept de « réussite Rolex »… Seul compte l’accomplissement, et l’usage que l’on sait faire de son patrimoine, de son apprentissage, de son talent… les gypaètes barbus consacrent plusieurs mois à apprendre à voler à leurs oisillons, voilà une tâche noble… nous avons eu des années pour le faire, il n’est jamais  trop tard pour continuer, quitte à sauter une génération…

Si nous avons la conscience d’avoir su léguer ces racines et ces ailes, nous n’aurons pas laissé s’accomplir la sombre prophétie d’Alfred de Vigny :
«  Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre,
    Sur cette terre ingrate où les morts ont passé… »

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