jeudi 9 novembre 2023

lieu de mort, lieu de paix

 

Un weekend d’automne, j’ai visité dans la même journée le Fort Mutzig et la bibliothèque humaniste, expérience pour le moins étrange.

 

Le Fort Mutzig est un ouvrage militaire construit à la fin du XIXe siècle, sur décision du Kayser Guillaume II, au cas ou les Français décideraient qu’ils voulaient reprendre l’Alsace (et la Lorraine). C’est un lieu immense, construit sur un modèle dit de « fort éclaté », contenant le meilleur de la technologie de l’époque. Il a même servi de lieu d’expérimentation pour des armes ou des systèmes d’observation ! C’est donc un lieu moderne, et ceci est renforcé par la présence d’éclairage électrique

Une association a entrepris de le restaurer et le propose à la visite, enfin un tout petit bout car il occupe une surface trop grande pour tout voir. Ainsi, le visiteur parcourt des galeries souterraines, pénètre dans des chambrées de soldats ou des chambres de sous-officier, découvre l’infirmerie, avec des ustensiles d’époque, et le « clou » du spectacle, la salle des machines que des membres de l’association remettent en état.

Ce fort n’a quasiment pas servi. Lors de l’avancée des troupes françaises en août 1914, le commandant du fort ordonna de tirer au canon alors que leur ennemi était un peu au-delà de la portée. Le fort a donc manifesté sa présence sans faire de réels dégâts, mais a montré sa puissance dissuasive.

 

Et c’est là que le bât blesse. Dans ces murs, tout de béton et avec des ouvertures crées pour y laisser passer des armes, j’ai ressenti une étrange vibration. Une palpitation qui parlait de mort, de celle qu’on cherche à donner à l’ennemi. Ce concentré de de technologie contenait aussi la guerre, la vision guerrière du monde, le besoin de dominer ou de vaincre.

L’ingénieure en moi a été fascinée par les machines, par la recherche technique sur le meilleur système d’observation possible ; l’être humain en moi a été terrassé par cette vibration. Presque jusqu’au malaise.

L’après-midi même, j’ai visité la bibliothèque humaniste de Sélestat. Un lieu clair, lumineux, réceptacle d’un projet ambitieux. Beatus Rhenanus, né à Sélestat en 1485, fut philologue, éditeur d’écrivains antiques et lui-même écrivain humaniste. L’humanisme de la Renaissance est un mouvement de pensée qui tente une synthèse entre l’héritage gréco-romain et le christianisme, tourné vers une sorte de laïcité, et vers le rôle actif des capacités intellectuelles humaines dans l'élaboration de la réalité de toute chose. Ainsi, les humanistes visent l'épanouissement de l'humain rendu ainsi plus humain par la culture.

D’où, pour Beatus Rhenanus, l’importance de rééditer les auteurs antiques, et de promouvoir l’éducation. Il a passé sa vie à rechercher des copies réalisée par des moines de textes anciens pour les rééditer, à la faveur de la diffusion de l’imprimerie, afin de rendre ces textes plus accessibles.

A sa mort, il a légué sa bibliothèque d’environ 670 volumes à sa commune, et la voici exposée dans ce lieu paisible.


Quel contraste avec ma précédente visite ! Quel enchantement de voir une copie manuscrite d’un texte de Tertulien datée du Xe siècle, des cartes du monde tel qu’on le percevait à son époque, ou l’édition par Rhenanus d’un recueil d’adages rédigé par son ami Erasme ! Les mauvaises ondes qui s’étaient déposées sur moi pendant la visite (que néanmoins je recommande) du Fort Mutzig ont été lavées par ces livres, et surtout le projet qui allait avec.  

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