vendredi 24 octobre 2014

Petits bonheurs de lecture #10: Erri de Luca



Les #lecteursducanal ont choisi de lire Erri de Luca, au terme d’une longue opération de vote entre différents auteurs étrangers. Je me suis donc replongée dans trois chevaux, beaucoup apprécié à la première lecture, et ai découvert Le tort du soldat.

L’écriture d’Erri de Luca est sèche, elle tient en peu de mots. Cependant ces récits laconiques parlent en profondeur du cœur et de l’âme de ses héros, ce qui me touche, même si j’ai évoqué ma gêne avec des dialogues trop littéraires dans un précédent billet.

L’écrivain trouve des accents de poésie et devient presque disert quand il parle des langues et des livres. Vous savez comme ça m’intéresse, les langues et les livres !  J’ai eu donc envie de partager quelques extraits avec vous.

Dans Le tort du soldat, le yiddish est un personnage presque à part entière :

« Le yiddish ressemble à mon napolitain, deux langues de grande foule dans des espaces étroits. Elles sont donc rapides, composées de mots apocopés, capables de se faire de la place au milieu des cris. Elles ont la même quantité de mendiants et de superstitions. Elles sont expertes en misères, émigrations et théâtres. Elles utilisent des proverbes identiques, et railleurs : "Mieux vaut apprendre le métier de barbier sur le visage des autres."
  Elles disent du progrès : "Un coup de pied dans le derrière est aussi un pas en avant." »

« En hébreu émet est féminin, mais devient masculin en Yiddish, perdant en consistance. En hébreu elle est absolue, en yiddish elle est relative. C’est pourquoi le vieil homme qui prononce la phrase dit : "pure vérité". Il doit la renforcer par un adjectif. En hébreu, elle existe seule et c’est tout. Il est des mots qui exigent le féminin, vérité en fait partie. »

Dans Trois chevaux, le narrateur est beaucoup de choses (un italien qui a émigré en Argentine, un jardinier, un amoureux), mais aussi un lecteur. Ce qui donne l’occasion de quelques belles lignes sur les livres :

« Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu’elles restent à plat. Les livres d’occasion ont le dos détendu, les âges, une fois lues, passent sans se soulever. »

Mais ce lecteur lit aussi les visages ou les arbres :

« (…) au milieu de tous les autres, si marqués, le sien a un air de bonté et un nez solide comme une proue. Les gens qui ont une cloison nasale aussi importante au milieu de la figure sont forcément bons »

« Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie. »

Quant à ce titre fort mystérieux, car aucun cheval n’habite le roman, son explication tient en une phrase :

« La vie d’un homme dure autant que celle de trois chevaux, et tu as déjà enterré le premier. »

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