Brrrr… Toujours aussi difficile d’entrer dans l’eau. Des années
de natation d’y ont rien changé. Si seulement cette échelle avait plus de
degrés, on pourrait s’immerger plus progressivement ; hélas la dernière
barre est à un mètre du fond.
La ligne d’eau choisie n’est pas trop bondée, une poussée
vigoureuse sur le bord et c’est parti. L’objectif
est modeste, comme il doit l’être après une longue période sans pratiquer :
neuf cents mètres sans s’arrêter. En fait c’est ambitieux.
Les muscles sont froids, n’allons pas trop vite. D’abord
trouver mon rythme, bien synchroniser bras, jambes et respiration. Se caler. Je
suis dans ma ligne, je ne peux pas voir le mur opposé, trop myope. Ce n’est pas
grave, p se concentre sur les mouvements, l’un après l’autre. Selon Lao Tseu,
un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. Neuf cents
mètres de brasse dans une piscine commencent toujours pas une poussée, un
mouvement de jambes, un de bras.
La mécanique s’installe, mon dos est bien droit, les gestes
s’enchainent.
Est-ce que je vais arriver à faire ces neuf cents mètres ?
Je vais être fatiguée après. Heureusement j’ai préparé le diner hier soir, pas
grave si je ne rentre pas de bonne heure. Il faudra vider le lave-linge, ranger
la chambre, pfff… Je vais encore me coucher tard.
Le mu est là, virage, poussée, c’est reparti. Je serre mon
ventre, histoire de garder le dos plat. Concentre-toi sur les mouvements, sens
tes muscles. Demain il y a cette réunion, j’ai oublié de la préparer. Il faudra
en arrivant au bureau que je relance T. qui ne m’a pas donné sa contribution.
Ah aussi, je n’ai pas répondu au mail de Z., je ne sais pas quoi lui dire…
Mur, virage, poussée.
Soupir. Tout va trop vite, je n’ai pas le temps. Bon arrête
de te plaindre, concentre-toi sur tes sensations. Les muscles se délient j’avance
facilement, c’est si bon de se sentir légère dans l’eau. Le rythme est plus
soutenu, contente de moi. L’effort est un plaisir.
J’aurai surement le temps de regarder un épisode de ma série
en cours ce soir. La peau tirera, les cheveux sentiront le chlore, mais ça n’a
pas d’importance. Jambes, bras. Oups, j’ai perdu le compte ! Combien de
longueurs, cinq, six ? Les mouvements continuent, je suis sur pilotage
automatique. Je fais le point. Je pense que c’est six. Oui, si je vais dans ce
sens de la piscine, c’est forcément six.
Mur, virage, poussée.
Jambes, bras.
C’est parti pour une nouvelle longueur. Facile.
Le boulot, ça ne vas pas. Les projets sont compliqués, il y
a plein de problèmes. Je ne comprends pas pourquoi les solutions que j’ai proposé
ce matin. Quels étaient les arguments déjà
Ah oui, ça me revient. Analyse. Non ! Bras, jambes. Serrer le
ventre. Se concentrer sur le mouvement.
Ma séance de piscine, c’est aussi pour me vider la tête. Ne pas
laisser le cerveau vagabonder.
Mur.
Ça commence à tirer dans les bras. J’en suis à huit cents mètres,
tout va bien, j’irai au bout. Mes sensations, les surveiller. Oups, le dos se
cambre, serrer le ventre. Ne pas relâcher son attention.
Il y a moins de plaisir et plus d’effort désormais. Je me
fatigue, c’est bien. Je serai un peu molle ce soir, pas un souci. Les muscles
du dos commencent à ronchonner. Je suis contente de les sentir, une partie de
mon corps avec laquelle je suis souvent fâchée, là je lui fais du bien. Ne pas
perdre le rythme, si près de la fin ce serait dommage. Ça coûte, mais c’est bon. Le
cerveau s’égare moins maintenant. Hein, tu ne fais plus le malin là ?
Dernier mur.
Contact de la main, je me redresse, je respire. Une bonne
séance, mais la prochaine fois, j’éviterai de penser à tant de choses, c’est
sûr. Si je suis attentive à mes gestes, je nage mieux. Oui, je me promets d’y
arriver.
Comme à la fin de chaque série de longueurs, quel que soit
leur nombre.
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