Vous souvenez-vous que je vous ai un jour parlé de l’habileté avec laquelle Jules Verne utilise le point-virgule ? C’est un signe de
ponctuation que j’aime bien, même si je reconnais avoir une certaine difficulté
à le placer harmonieusement dans une phrase. Parfois j’essaie, et ça vient
laborieusement. Le pire, c’est quand je cherche à construire une phrase autour
de ce satané point virgule ! Vous voyez comment il est, ce signe de
ponctuation : on l’apprécie, et il nous rend mal l’amitié qu’on lui porte !
C’est donc avec un bonheur indescriptible que j’ai lu les déboires du
héros de Malavita, roman de Tonino Benacquista, avec ce fameux point-virgule.
Laissez-moi vous présenter ce héros : mafioso repenti, il bénéficie d’une programme
de protection des témoins qui le fait atterrir en Normandie et trouver par
hasard une machine à écrire. Et voilà le tueur sachant, selon sa famille, à
peine lire qui se pique de devenir écrivain. Et alors le point-virgule, ça lui
pose des problèmes :
« Les coudes posés de part et d’autre de sa Brother 900, le menton sur ses doigts croisés, Fred s’interrogeait sur les mystères du point-virgule. Le point, il savait, la virgule, il savait, mais le point-virgule ? Comment une phrase pouvait à la fois se terminer et se poursuivre ? Quelque chose bloquait mentalement, la représentation d’une fin continue, ou d’une continuité qui s’interrompt, ou l’inverse, ou quelque chose entre les deux, allez savoir. Qu’est-ce qui, dans la vie, pouvait correspondre à ce schéma ? Une sourde angoisse de la mort mêlée à la tentation métaphysique ? Quoi d’autre ? Une bonne tasse de thé lui aurait laissé le temps de la réflexion. (…) Fred se décida à frapper ce point-virgule, pour essayer.Voir crever un ennemi est bien plus doux que se faire un nouvel ami ; qui a besoin de nouveaux amis ?A la réflexion, il trouva le point-virgule si peu clair, si hypocrite, qu’il essaya de recouvrir la virgule avec du Tipp-Ex sans toucher le point. »
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