Il y a bien longtemps qu’un livre ne m’a pas donné envie de
publier des extraits. Le premier extrait date de février 2012, le dernier de
mars 2015, et il n’y en a eu que 6. Tous sont relatifs à un thème unique :
l’art d’écrire. J’aime beaucoup quand le romancier, au sein de son ouvrage,
donne un aperçu de sa vision de l’écriture, souvent à travers le regard d’un de
ses personnages.
Voici donc l’extrait numéro 7, suscité par la lecture de Des vies
parallèles, de Lucy Caldwell.
La narratrice de ce roman a vécu une drôle d’enfance : aux
alentours de ses douze ans, elle découvre que son père a une autre famille,
d’autres enfants. Devenue adulte elle tente d’écrire cette histoire. Et elle a
des difficultés, car ses souvenirs sont vagues et sa mère a toujours refusé de
répondre à ses questions.
Son métier est d’aider des personnes âgées ou handicapées. Un de ses
« patients » participe à un atelier d’écriture, elle s’y intègre.
Lorsque son travail de rédaction se bloque sur les blancs de sa mémoire, son
professeur lui prodigue quelques conseils intéressants :
« Vous avez une dent contre la fiction, hein, Lara ? Vous pensez que, parce que vous racontez une histoire vraie, il n’y a que la vérité exacte et absolue qui tienne. C’est un impératif moral, pour vous. Seulement, en fait, tout ce que nous écrivons n’est qu’un récit. Nous lui donnons une forme, une structure, nous décidons où il commence et où il finit. Vous dites que vous achoppez sur des blancs des manques et des lacunes, mais le travail de la fiction, c’est précisément de tisser un filet. Ce filet ne retient pas toit, ce n’est pas possible, mais il restitue l’effet que ça faisait de vivre telle situation, de prendre telle décision. La fiction, c’est la démarche la plus magique et en même temps la plus humaine qui soit ; elle a le pouvoir de guérir, de régénérer, précisément parce qu’elle jette un pont sur nos gouffres. Nous ne saurons jamais ce que c’est d’être quelqu’un d’autre, sinon par la fiction. Une idée répandue voudrait que la fiction cherche à échapper à la réalité ; mais il n’en est rien, ou en tous cas, ce n’est pas tout. La fiction nous permet d’échapper à nous-même pour aller vers le monde ».
Au-delà du fait que j’approuve complètement ce qui est écrit dans cette
longue tirade, mon attention a été attirée par l’idée de tirer un filet sur les
blancs, les manques et les lacunes. Cela m’a rappelé les propos de Chantal
Thomas sur la façon d’écrire le roman historique, et de combler les
« trous » qui se logent entre les faits historiquement avérés. J’en
avais fait un résumé ici . La cohérence de ces deux points de vue sur la notion « d’écrire la
vérité des faits » est étonnante, non ?
La vérité est une notion étrange au fond. Depuis Einstein on sait que
la réalité est relative ; mais ceci est pris comme une vérité scientifique. Donc la vérité
existe ! Il est facile de voir ici un paradoxe. Mais n’est-il tout
simplement pas inhérent à l’âme humaine d’avoir besoin de vérités, même en
sachant que son ami, son frère ou son voisin peut avoir une lecture différente
de cette même vérité ? L’imagination du romancier est ainsi un moyen comme
un autre de donner de la couleur aux blancs, de combler les trous et de tisser
une histoire qui a toutes les apparences
de la vérité. Quand en plus ce moyen donne de beaux romans, qui font plaisir à
lire et qui ouvrent l’âme au monde, surtout ne pas bouder son plaisir !
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