mercredi 13 novembre 2013

La construction du roman historique



Les Rendez-vous de l'histoire de Blois avaient cette année pour thème La Guerre. Beaucoup de conférences, de journées d'études y étaient consacrées. 


Cependant le salon du livre d'histoire qui se déroule en même temps garde une certaine liberté par rapport à ce thème. De nombreux exposants proposaient des essais ou des romans sur ce thème (dont quelques livres intéressants sur la guerre civile espagnole…), mais aussi des œuvres historiques abordant d’autres sujets. C'est grâce à cette liberté que Chantal Thomas, qui n'a pas tellement écrit sur la guerre, était cette année présidente du salon. Le jour où j'étais à Blois, dans le cadre d'un café littéraire, elle a évoqué la question, parfois difficile, de la construction du roman historique.

Je n'ai jamais lu Chantal Thomas, mais ce n'était pas une raison pour ne pas aller l'écouter ! 

Son intervention fut intéressante, même si elle s'est déroulée dans un cadre qui a eu l'air de la décontenancer, et qui m'a laissé insatisfaite : l'animateur a souhaité la faire beaucoup parler de son dernier livre, L'échange des princesses http://www.telerama.fr/livres/l-echange-des-princesses,101356.php  alors qu’elle s'attendait visiblement à évoquer ses trois romans historiques, Les adieux à la Reine, Le testament d’Olympe et le dernier né.

L'auditoire a pu néanmoins tirer de ses réponses aux questions posées quelques axes directeurs:
- le choix du sujet, qualifié de « scorie de l’Histoire »
- la méthode, basée sur des faits historiques prouvés
- le rôle du romancier au sein de l’Histoire.

En contre-point, Michel Winock, historien, donne son avis sur le rôle du romancier au regard de l’Histoire.

Les scories de l’Histoire

Un romancier n’est pas légitime pour écrire l’Histoire. Par contre, il peut s’approprier un petit événement, passé inaperçu des livres d’histoire, pour en faire un roman. Chantal Thomas aime les à-côtés, les histoires oubliées, ces recoins d’ombres qui donnent envie de les éclairer. L’animateur de ce café littéraire baptise ces faits minuscules des scories de l’Histoire.

L’échange des princesses, moment historique mais « petit » événement, est exceptionnel du fait de l’âge des deux enfants : l’infante d’Espagne a quatre ans, Melle de Montpensier en a douze ! Un mariage princier avec des motivations politiques n’était pas de nature à inspirer la romancière, mais leur âge, si.

Aller d’un fait prouvé à un autre

Chantal Thomas passe beaucoup de temps à chercher de la  documentation, en particulier des lettres. Elle essaie d’aller d’un fait prouvé à un autre, pas à pas, pour reconstituer toute la trame de l’aventure (mésaventure ?) qu’elle veut nous raconter, évidemment avec l’objectif de coller autant que possible à la réalité.

Cependant un détail peut enflammer l’imagination de l’auteur : ainsi, lorsqu’elle apprend que l’infante d’Espagne arrive à Versailles avec une malle pleine de poupées, elle se rappelle des siennes, et les introduit dans le roman en les imaginant et en leur donnant un rôle.

Elle aime également à s’engager des les « trous » laissés par les textes : ce qu’ils ne disent pas, ce qui reste à inventer. Le travail du romancier se loge sans doute là. Par exemple, le fiasco conjugal du couple formé par le prince des Asturies et Mlle de Montpensier est très peu décrit. A partir de ce fait avéré, elle s’est donc plu à imaginer ce qui se passe dans la chambre royale.

Chantal Thomas passe beaucoup de temps sur les lieux de l’histoire avant d’écrire. Elle s’inspire de tableaux également, et a ainsi fréquenté le Prado. Par contre, le temps de l’écriture doit s’abstraire de la vie parisienne et de ses tentations.

Arrivée à cette étape, la romancière a toutes les choses en tête, mais ne doit pas trop coller à sa documentation, sinon elle ne trouve pas son rythme. Ce qui ne l’empêche pas d’être entourée de ses piles de papiers ! Dans cette phase concrète, un jeu s’instaure entre l’érudition et l’imaginaire, entre ce que l’écrivain contrôle et ce qu’il ne contrôle pas.

Le rôle du romancier au sein de l’Histoire.

Tout au long de son intervention, Chantal Thomas a jeté derrière ses propos des petites pierres blanches à suivre, et qui menaient droit son auditoire vers ce sujet. Ne pas oublier qu’elle est aussi historienne ! Elle fait donc parfaitement la différence entre son travail académique et celui qu’elle met en œuvre sans ses romans.

Ainsi, elle glisse « les détails anachroniques ne sont pas importants si le cadre est là », « l’Histoire est un vrai terreau pour les écrivains », « il faut que quelque chose de bizarre lie l’écrivain au thème ».

Michel Winock complètera de façon assez directe sa pensée : l’historien procède par abstraction, par généralisation. Pour évoquer un cimetière, il indiquera la date de sa création te le nombre de personnes qui y sont enterrées. Le romancier, lui, donne chair et vie (si l’on ose dire vu l’exemple) à cette image assez théorique. Il décrira une cérémonie d’enterrement, ou les pensées d’une personne qui se recueille sur une tombe. Mais au fond ils parleront de la même chose, le cimetière.

A titre personnel, il a voulu s’écarter un peu du travail de l’historien, et s’en est tiré par la biographie, ce « roman vrai » ou malgré tout, il ne peut pas inventer de détails, il n’a pas la liberté du romancier, liberté évoquée par Chantal Thomas lorsqu’elle s’engage des les trous de ses documents.

Il finira son intervention en mentionnant qu’il pense que le romancier ne devrait pas s’attaquer aux « grands » personnages. Et il cite Richelieu comme exemple de grand personnage, ce qui me fait tiquer : Richelieu est un personnage incontournable’ des Trois Mousquetaires de Dumas, même s’il n’est pas central. Dumas lui prête des pensées, des décisions, est-ce une faute ? Je n’ai pas eu l’opportunité de poser la question.

Voilà un café littéraire qui m’a passionnée ! Je suis fort intéressée par l’histoire, mais je préfère m’y aventurer via les romans historiques, pour l’aborder d’une façon plus ludique. Ce qui n’empêche pas que j’ai dans ma bibliothèque deux livres de Michel Winock, mais qui abordent la révolution française comme une grande épopée, ce qui entraîne le lecteur…

Je dois dire que, comme sans doute notre romancière, je suis restée sur ma faim. J'aurais aimé l'entendre sur les points de convergence de la construction de ses trois romans, et les points de divergence. J'imagine qu'il peut y en avoir, peut-être du fait du sujet en lui-même !  J'espère que ce sera pour une autre fois...

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