mardi 2 février 2016

L’exofiction, non merci




Des mots naissent, des mots meurent, en fonction des besoins que nous avons de  désigner tel ou tel objet, telle ou telle notion… J’ai découvert le mot « exofiction » (d’ailleurs refusé par mon correcteur d’orthographe) à la rentrée 2014, à Orléans. Deux bibliothécaires organisent des cafés littéraires fort sympathiques, ou elles livrent avec un grande finesse leurs coups de cœurs et conseils de lecture. En septembre de cette année, elles nous ont expliqué qu’on était dans l’année de l’exofiction.

Mais qu’est-ce donc que cette nouvelle bestiole ? En voici plusieurs définitions, piochées ça et là sur Internet :

Dans l’Humanité :
l’exofiction définit le roman en brouillant (ou du moins en remaniant) la frontière entre fiction et biographie, voire en utilisant des personnages plus ou moins célèbres ou en s’inspirant de récits historiques d’époques diverses. […] Certains auteurs font le pont entre cette « exofiction » et la fiction familiale classique. […] Réalité et fiction s’enlacent donc plus que jamais.

Dans Elle : romans inspirés du réels pour tenter d’en percer les mystères

Dans le Magazine Littéraire :
L'exofiction... Ce néologisme disgracieux qui fleure mauvais le transhumanisme définit un système narratif : je raconte un autre, qui a existé.[…] Dans l'exofiction, l'auteur se décale, prend son personnage comme une matrice spirituelle, morale, intellectuelle, sensible, et l'écoute, tout en parlant de lui à la troisième personne. Son héros est un ex-vivant réinventé. L'auteur se raconte via un mort, bernard-l'ermite narratif.

Nous déduirons aisément des lignes précédentes que c’est un genre littéraire difficile à décrire. Pour plus de simplicité passons pas l’exemple, voici quelques titres d’exofiction :

Adrien Bosc, Constellation
François-Henri Désérable, Evariste
Lydie Salvayre, Pas pleurer
Eriv Vuillard, Tristesse de la terre
Pierre Michon, Les onze

Et bien je le dit tout net : je n’aime pas ce genre.

Dans ces ouvrages, l’auteur nous fait part de ses recherches historiques, de ce qu’il a trouvé et pas trouvé, et de ce qu’il pense, ce qu’il droit, pire parfois : ce qu’il veut croire ! Cette intrusion de l’auteur dans le récit m’est assez insupportable, je voudrais qu’on me raconte simplement l’histoire, sans détours.

Dans Evariste, l’auteur nous abreuve à presque toutes les lignes de « ce que l’on sait » et « ce que l’on ne sait pas ». Le livre devient alors plus une œuvre d’historien, tentant de relater des faits, une sorte de vérité historique dont on sait par ailleurs qu’elle reste relative. Et plus grave à mes yeux : l’auteur s’adresse au lecteur directement, avec une sorte de morgue, le lecteur devient une « mademoiselle » naïve et ignorante à qui il faut expliquer la vie. Quelques exemples :

La rencontre entre le futur père et la future mère d’Evariste : « Et puis il y a cette scène qu’on est réduits à imaginer – les sextapes n’existaient pas ». Là on a envie de lui dire « sans blagues ? Et bien fait ton travail, imagine et raconte-nous ! » Ce qu’il fait ensuite, c’est une page bien écrite, qui se suffit à elle-même, pas besoin de cette introduction ridicule.

A propos du procès d’Evariste : « car le prétoire est un théâtre mademoiselle, un théâtre ou on ne fait pas semblant ». Lieu commun, évidence, merci monsieur l’auteur mais ce commentaire ne m’a rien appris. Avec du style et de l’imagination, tu mettrais ça en scène à travers de beaux personnages, et tu nous le dirais sans nous le dire explicitement.

Autre extrait : « on le sait parce que Raspail a écrit tout cela. Vous vous souvenez de Raspail, celui que tout à l’heure, aux Vendanges de Bourgogne, j’ai présenté en trois mots –Chimiste, médecin, carbonaro ? » Qu’attend l’auteur à ce moment-là ? Qu’on le félicite d’être aussi constant, pédagogique, attentif au lecteur ? J’ai juste eu envie de lui dire « t’inquiètes, je fais mon boulot de lecteur, je suis, fais-donc le tien d’auteur de roman ! »

J’ai moins eu ce sentiment de l‘auteur trop présent dans Constellation. Par contre, la juxtaposition de chapitres qui racontent les histoires des uns et des autres est un peu artificielle, et à la fin du livre j’ai eu le sentiment de ne pas voir « vécu » grand-chose avec les personnages. Mais comme je ne retrouve pas ce livre sur mes étagères, je ne peux pas aller plus loin dans mon analyse. Gasp, je croyais avoir un classement peut-être pathologique mais efficace (lien).

Les onze, biographie du peintre qui réalisa le tableau du même nom, qui représente le Comité de Salut Public qui instaura la Terreur, rentre dans la catégorie exofiction. Mais je dois reconnaitre qu’il est construit plus comme un roman basé sur du récit. Si l’auteur intervient parfois, c’est avec un peu plus de subtilité. Ainsi ce début de chapitre ou l’auteur s’interroge sur la raison qui a amené à peindre ce tableau :
 « Cette commande, Monsieur, on s’épuise depuis deux siècles à en comprendre le pourquoi. C’est une commande politique, cela va de soi : aussi, soyons bas un instant, parlons politique. Nous allons le faire bouger encore une fois, ce vieux théâtre d’ombres. »
Cependant l’auteur est présent, il annonce ce qu’il va développer par la suite, comme on le fait dans une dissertation ou dans un exposé, et cela casse ce qui aurait pu être le rythme d’un récit.

La tristesse de la terre est un livre intéressant pour ceux qui ont envie de mieux connaitre la période de la conquête de l’ouest et celle qui a suivi. Cependant le qualificatif d’essai me paraitrait plus pertinent que celui de roman d’exofiction. Il convient d’ailleurs de noter que le mot roman n’apparait pas sur la couverture.

Pas Pleurer me semble d’une autre nature : ici l’auteur livre le récit de sa mère, et s’interroge tout au long du livre sur une époque, des actes qui pouvaient paraitre barbares, etc… sa posture n’est pas celle de sauteurs précédents qui se vivent en « professeur/historien/romancier ». Elle assume d’être juste une femme qui tente de comprendre ce que fut la vie de sa mère dans un contexte de guerre civile. Cela donne aux réflexions qu’elle nous livre au fil du texte une sincérité que je n’ai pas trouvé par ailleurs.

En résumé, je n’accroche pas à l’exofiction ou l’auteur est trop présent de façon directe. J’ai l’impression que cette présence m’empêche de m’immerger dans le récit. Je vais donc me tenir à distance de ce genre littéraire, même si n’ayant pas encore lu HHhH de Laurent Binet, il me reste une ou deux incursions à faire dans ce domaine.

1 commentaire:

  1. Valérie,

    Tu disais : Et bien je le dit tout net : je n’aime pas ce genre.

    Et bien moi aussi,

    Vivement la simplification du Français,

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