Des mots naissent, des mots meurent, en fonction des besoins
que nous avons de désigner tel ou tel objet,
telle ou telle notion… J’ai découvert le mot « exofiction » (d’ailleurs
refusé par mon correcteur d’orthographe) à la rentrée 2014, à Orléans. Deux bibliothécaires
organisent des cafés littéraires fort sympathiques, ou elles livrent avec un
grande finesse leurs coups de cœurs et conseils de lecture. En septembre de
cette année, elles nous ont expliqué qu’on était dans l’année de l’exofiction.
Mais qu’est-ce donc que cette nouvelle bestiole ? En
voici plusieurs définitions, piochées ça et là sur Internet :
Dans l’Humanité :
l’exofiction définit le roman
en brouillant (ou du moins en remaniant) la frontière entre fiction et
biographie, voire en utilisant des personnages plus ou moins célèbres ou en
s’inspirant de récits historiques d’époques diverses. […] Certains auteurs font
le pont entre cette « exofiction »
et la fiction familiale classique. […] Réalité et fiction s’enlacent donc plus
que jamais.
Dans Elle : romans inspirés du réels
pour tenter d’en percer les mystères
Dans le Magazine Littéraire :
L'exofiction... Ce
néologisme disgracieux qui fleure mauvais le transhumanisme définit un système
narratif : je raconte un autre, qui a existé.[…] Dans l'exofiction, l'auteur se
décale, prend son personnage comme une matrice spirituelle, morale,
intellectuelle, sensible, et l'écoute, tout en parlant de lui à la troisième
personne. Son héros est un ex-vivant réinventé. L'auteur se raconte via un
mort, bernard-l'ermite narratif.
Nous déduirons aisément des lignes précédentes que c’est un
genre littéraire difficile à décrire. Pour plus de simplicité passons pas l’exemple,
voici quelques titres d’exofiction :
Adrien Bosc, Constellation
François-Henri Désérable, Evariste
Lydie Salvayre, Pas pleurer
Eriv Vuillard, Tristesse de la terre
Pierre Michon, Les onze
Et bien je le dit tout net : je n’aime pas ce genre.
Dans ces ouvrages, l’auteur nous fait part de ses recherches
historiques, de ce qu’il a trouvé et pas trouvé, et de ce qu’il pense, ce qu’il
droit, pire parfois : ce qu’il veut croire ! Cette intrusion de l’auteur
dans le récit m’est assez insupportable, je voudrais qu’on me raconte
simplement l’histoire, sans détours.
Dans Evariste, l’auteur
nous abreuve à presque toutes les lignes de « ce que l’on sait » et « ce
que l’on ne sait pas ». Le livre devient alors plus une œuvre d’historien,
tentant de relater des faits, une sorte de vérité historique dont on sait par ailleurs
qu’elle reste relative. Et plus grave à mes yeux : l’auteur s’adresse au
lecteur directement, avec une sorte de morgue, le lecteur devient une « mademoiselle »
naïve et ignorante à qui il faut expliquer la vie. Quelques exemples :
La rencontre entre le futur père et la future mère d’Evariste :
« Et puis il y a cette scène qu’on est réduits à imaginer – les sextapes n’existaient
pas ». Là on a envie de lui dire « sans blagues ? Et bien fait
ton travail, imagine et raconte-nous ! » Ce qu’il fait ensuite, c’est
une page bien écrite, qui se suffit à elle-même, pas besoin de cette
introduction ridicule.
A propos du procès d’Evariste : « car le prétoire
est un théâtre mademoiselle, un théâtre ou on ne fait pas semblant ». Lieu
commun, évidence, merci monsieur l’auteur mais ce commentaire ne m’a rien
appris. Avec du style et de l’imagination, tu mettrais ça en scène à travers de
beaux personnages, et tu nous le dirais sans nous le dire explicitement.
Autre extrait : « on le sait parce que Raspail a
écrit tout cela. Vous vous souvenez de Raspail, celui que tout à l’heure, aux
Vendanges de Bourgogne, j’ai présenté en trois mots –Chimiste, médecin,
carbonaro ? » Qu’attend l’auteur à ce moment-là ? Qu’on le
félicite d’être aussi constant, pédagogique, attentif au lecteur ? J’ai
juste eu envie de lui dire « t’inquiètes, je fais mon boulot de lecteur,
je suis, fais-donc le tien d’auteur de roman ! »
J’ai moins eu ce sentiment de l‘auteur trop présent dans
Constellation. Par contre, la juxtaposition de chapitres qui racontent les
histoires des uns et des autres est un peu artificielle, et à la fin du livre j’ai
eu le sentiment de ne pas voir « vécu » grand-chose avec les
personnages. Mais comme je ne retrouve pas ce livre sur mes étagères, je ne
peux pas aller plus loin dans mon analyse. Gasp, je croyais avoir un classement
peut-être pathologique mais efficace (lien).
Les onze,
biographie du peintre qui réalisa le tableau du même nom, qui représente le
Comité de Salut Public qui instaura la Terreur, rentre dans la catégorie
exofiction. Mais je dois reconnaitre qu’il est construit plus comme un roman
basé sur du récit. Si l’auteur intervient parfois, c’est avec un peu plus de subtilité.
Ainsi ce début de chapitre ou l’auteur s’interroge sur la raison qui a amené à
peindre ce tableau :
« Cette
commande, Monsieur, on s’épuise depuis deux siècles à en comprendre le pourquoi.
C’est une commande politique, cela va de soi : aussi, soyons bas un
instant, parlons politique. Nous allons le faire bouger encore une fois, ce
vieux théâtre d’ombres. »
Cependant l’auteur est présent, il annonce ce qu’il va
développer par la suite, comme on le fait dans une dissertation ou dans un
exposé, et cela casse ce qui aurait pu être le rythme d’un récit.
La tristesse de la
terre est un livre intéressant pour ceux qui ont envie de mieux connaitre
la période de la conquête de l’ouest et celle qui a suivi. Cependant le
qualificatif d’essai me paraitrait plus pertinent que celui de roman d’exofiction.
Il convient d’ailleurs de noter que le mot roman n’apparait pas sur la couverture.
Pas Pleurer me
semble d’une autre nature : ici l’auteur livre le récit de sa mère, et s’interroge
tout au long du livre sur une époque, des actes qui pouvaient paraitre
barbares, etc… sa posture n’est pas celle de sauteurs précédents qui se vivent
en « professeur/historien/romancier ». Elle assume d’être juste une
femme qui tente de comprendre ce que fut la vie de sa mère dans un contexte de
guerre civile. Cela donne aux réflexions qu’elle nous livre au fil du texte une
sincérité que je n’ai pas trouvé par ailleurs.
En résumé, je n’accroche pas à l’exofiction ou l’auteur est
trop présent de façon directe. J’ai l’impression que cette présence m’empêche
de m’immerger dans le récit. Je vais donc me tenir à distance de ce genre
littéraire, même si n’ayant pas encore lu HHhH de Laurent Binet, il me reste
une ou deux incursions à faire dans ce domaine.
Valérie,
RépondreSupprimerTu disais : Et bien je le dit tout net : je n’aime pas ce genre.
Et bien moi aussi,
Vivement la simplification du Français,