lundi 22 février 2016

Esprit des lieux, Tristan Savin



Rarement un livre m’aura autant agacée et fascinée en même temps. Voir la quatrième de couverture ici

Fascinée je le fus, car Tristan Savin évoque avec beaucoup de poésie des lieux mythiques, que je ne connais pas mais dont je rêve… Voyager au gré de sa plume et de celles des écrivains qu’il convoque à Zanzibar, Ispahan, Saint-Pétersbourg, Bali (et plein d’autres) est un enchantement. J’ai d’ailleurs conforté dans cette lecture mon envie de lire Kim, de Rudyard Kypling, fortement recommandé lors d’une réunion des lecteurs du canal par @schaptal

Fascinée au point au point d’avoir sans arrêt envie de découvrir un lieu de plus, aller une page plus loin.

Je dois aussi à ce livre d’avoir appris que « le brésil est un arbre, le pau brasil. Et l’aubier de ce brasil produit une teinture cramoisie ». Au cours de mes recherches sur les arbres remarquables pour écrire les nouvelles de l’Arboretum imaginaire, je n’ai pas croisé ce pau brasil, j’en ai des regrets…

Mais…

Agaçée aussi par un certain nombre de partis pris. Quand j’avais une râlerie à formuler sur une chronique, j’ai corné la page. Il y a un peu trop de coins pliés à mon goût… Bon, j’y vais, je dresse la liste de mes récriminations.

D’abord les facilités stylistiques. Tristan Savin y succombe fort peu mais quand, par exemple, on lit deux chroniques ou Paul Morand est désigné par l’expression « l’homme pressé », comment ne pas trouver qu’il y a un peu de paresse chez l’auteur ?

Après un tour de France des lieux littéraires, Tristan Savin fait celui de l’Europe. Et immense étonnement, Barcelone n’y figure pas ! C’est pourtant une ville qui a inspiré de nombreux romans, au premier rang desquels je voudrais citer La cité des prodiges, d’Eduardo Mendoza. Dans cette immense saga qui progresse au gré des transformations de la ville, le personnage principal n’est pas Onofre Bouvila, mais bien la cité, son atmosphère, son aptitude à se réinventer. Et on ne peut s’empêcher de penser bien sûr à Juan Marsé, qui décrit dans ses romans l’influence de la Barcelone plombée des années 50 sur ses habitants (j’ai évoqué Calligraphie des rêves ici), à Carlos Ruiz Zafon et l’ombre du vent, à Ildefonso Falcones et la cathédrale de la mer, et bien sûr à Pepe Carvalho, le barcelonais 100% pur sucre de Vazquez Montalban. Bref, il y avait matière à une chronique, mais sans les auteurs fétiches de notre chroniqueur. Est-ce là une explication ?

Lorsqu’il évoque Tokyo, comme d’ailleurs presque tous les autres lieux mentionnés, Tristan Savin s’arrête aux années 50. Nous savons tous comme le monde a changé depuis cette époque, et il est des places pour lesquelles ce changement est plus fort. Tokyo fait partie de ces lieux, et l’évocation des japonaises en kimono est singulièrement désuète… En 1998, lors d’un déplacement professionnel au Japon, j’ai plus été frappée par l’accoutrement des jeunes filles, mini-jupes plissées, jambières, frivolités de toutes sortes, que par les grand-mères en kimono, même si j’en ai croisée une ou deux dans le métro. Les japonais accompagnant avec rapidité les métamorphoses des époques, mes jeunes filles sont peut-être elle aussi tombées aux oubliettes…

Dans la chronique terre d’Algérie, nous sombrons dans l’approximation. Tristan Savin évoque Isabelle Eberhardt, et dit qu’elle a connu la révélation lors d’un reportage dans le sud oranais. Puis il enchaine par une citation « Sous l’accablement d’un ciel sans nuages, Alger dormait ». J’ai été vérifier sur une carte qu’Alger n’est pas au sud d’Oran, tant l’enchainement trop rapide m’a troublée !

La chronique sur le désert saharien ne fait pas mention de Frison-Roche, et celle sur le cœur de l’Afrique oublie Karen Blixen. C’est fort dommage, car cela aurait permis d’élargir le cercle des écrivains cités et d’ouvrir les points de vue.

Je vais cesser là mes critiques, pour conseiller à tous mes lecteurs curieux du monde qui nous entoure cette lecture, autant pour puiser dans la bibliographie des suggestions d’autres lectures que pour la prose de Tristan Savin.

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