Dès l'enfance, lire a été
un problème. On trouvait que je lisais goulument, on m'accusait de lire trop vite, de sauter des pages, de ne
pas comprendre ce que je lisais. J'ai
pris l'habitude de me cacher. Au fond du jardin. Au grenier. Sur le balcon, même
en hiver.
Je lisais tard sous les draps avec une lampe de poche et quand je
me faisais surprendre, le livre était confisqué et on m'annonçait que j'allais
devenir aveugle. Je ne suis pas devenue aveugle mais sourde, laissant les
adultes s'égosiller, le téléphone
sonner, tandis que je changeais de position comme seuls savent le faire les
enfants, une jambe en l'air, la tête en bas.
Lire est devenu un plaisir
défendu, et au fur et à mesure, une
addiction.
Si je pars en vacances, par peur de manquer, j'emporte un énorme
sac de bouquins. Non seulement pour ne pas rester sans rien à lire, mais pour
pouvoir aussi choisir. Ce qui ne m'empêche pas d'en acheter sur place si par
malheur il y a une librairie car je ne peux pas entrer dans une librairie sans
acheter de façon compulsive ( pas un seul, mais deux ou trois livres au moins
et cela peut aller bien plus loin...). Si je n'ai rien à lire dans le
métro, dans une salle ou une file
d'attente, l'angoisse m'envahit. Je n'ai qu'une idée, m'enfuir, sortir, trouver
un livre, un journal, n'importe quoi pour survivre.
Quand je termine un livre, le choix du suivant est atroce. Comme
tous les drogués sérieux, j'ai des provisions d'avance, les étagères débordent,
les piles montent sol. J'en saisis un
puis un autre, avec une sensation de malaise au fond de l'estomac, incapable de
me décider.
J'ai été un peu sauvée par ma liseuse électronique. J'y empile les
e-bouquins sans vergogne. Personne
d'autre que moi ne peut les voir. Mes réserves sont dissimulées, connues de moi seule et si j'accumule sans lire tout
de suite, pas de réflexions désagréables, pas de sourcils levés, pas de soupirs
désabusés.
Mais je ne peux pas m'empêcher d'acheter aussi des livres papier.
Je n'aime pas beaucoup le shopping, mais je en résiste pas aux devantures des
libraires. Et de la vitrine à la porte d'entrée, il n'y a qu'un pas que je
franchis avec allégresse, totalement consciente que je ne ressortirai pas les
mains vides.
Bien sûr, je rate les stations de métro, je prépare le déjeuner en
retard, je lis le soir jusqu'à ce que mes yeux brûlent.
Je crois même que si j'ai
appris plusieurs langues, ce n'est pas pour communiquer avec les autochtones,
mais plutôt pour pouvoir lire dans le
texte, sans passer par le filtre de la traduction.
Je fréquente peu les bibliothèques que j'ai pourtant écumées dans
mon enfance, je déteste emprunter, je
veux mes livres à moi, chez moi. Mais j'en prête. Ou du moins, j'en
achète en double pour pouvoir les prêter. J'en achète aussi en double parce que
j'ai oublié que je les avais déjà achetés. Plus étrange, j'ai beaucoup de mal à
me décider à lire ceux que l'on m'offre, qui attendent parfois des mois, des
années...
J'ai fait de cette addiction mon métier en devenant critique
littéraire pendant assez longtemps, presque par hasard. Mais il n'y a pas de
hasard, on le sait bien. Seulement, cela n'allait pas. Je croulais sous les
mauvais livres et je n'avais plus le temps de lire ceux dont j'avais envie. En
outre, lire armée d'un crayon, ce n'est plus la même façon de lire et j'ai été
finalement soulagée d'arrêter et de passer à la rubrique théâtre, puis d'avoir
un blog théâtre (http://marsupilamima.Blogspot.com). Une autre
façon d'aimer les textes et d'en parler en préservant mes lectures.
Merci à Valérie de me
prêter cet espace, pas vraiment pour parler de livres, mais de cette pathologie
de la lecture dont je crains qu'elle ne soit incurable...mais ce n'est pas une
maladie orpheline, nous sommes assez nombreux, non?
Il manque à la liseuse, la chair, hélas.
RépondreSupprimerMais ici, de ce manque, point !
la liseuse est toute mince! Pratique en déplacement....Mais bien sûr, ce n'est pas pareil
RépondreSupprimerje partage ton avis Martine, une liseuse c'est l'idéal pour la lectrice pathologique...
SupprimerJe découvre Martine Silber et sa description de son rapport aux livres et à la lecture et je m'y retrouve totalement et ce dans tous les détails excepté que je ne lis pas en VO malheureusement !
RépondreSupprimerJe me savais lectrice pathologique mais aujourd'hui je me sens moins seule dans mes manies et angoisses du manque, du choix etc...
Merci Martine !
bienvenue parmi les grands malades Chalipette! Je disais aujourd'hui même à un petit fils ado qui s'enferme avec son ordi qu'à son âge je faisais pareil avec les livres....Et j'ai la même passion pour le théâtre (voir mon blog), ce qui est aussi prenant et en plus fatigant
RépondreSupprimerTémoignage tout en sensibilité, par quelqu'un qui doit l'être tout autant.
RépondreSupprimerMerci pour ce partage !
je profite de cet espace pour remercier Centrino de son compliment ...bonnes lectures à nous ;-)et je signe de mon nom twitter, allez zou
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