MANIPULES
partie 1: ici
partie 2: là
Nouveau rendez-vous avec Angela. Nous collaborons depuis
deux mois. Elle porte un pull à col roulé très moulant sur une jupe courte. Nom
de Dieu, qu’elle est sexy ! Notre séance de travail commence, mais je ne
suis pas concentré. Je regarde ses doigts courir sur les pages, elle porte une
bague en or tout fine, un bijou de famille. Je n’y tiens plus. Je prends sa
main, l’embrasse sur le dos, puis sur la paume, lèche délicatement ses doigts.
A ma grande surprise elle gémit, elle aime. Je l’embrasse. Nous faisons l’amour
lentement, découvrant nos corps avec émotion, sur le canapé. Quand tout est
fini elle murmure à mon oreille « Sebastián, je t’aime ». Je ressors
de chez elle étourdi comme un ado, idiot, souriant aux passants, baignant dans
un bonheur indicible. Je peux toujours donner du plaisir à une femme, et la
rendre amoureuse ! Je suis le roi de l’univers !
A partir de ce jour, mes forces sont décuplées. Je continue
mes chroniques, mes haïkus, et les textes pour ce projet. Il me semble qu’ils
sont à elle. Pourtant c’est moi qui écris, qui cherche des lieux à évoquer et
se renseigne sur leur histoire pour mieux en parler. Je travaille
d’arrache-pied, et à chaque rencontre j’ai ma récompense, une dose de sexe, une
de tendresse et de mots d’amour, des félicitations. Le projet progresse à une
vitesse incroyable. Un jour cependant, elle m’annonce :
- Tu sais j’ai un associé dans la galerie. Il faut que je
lui montre le projet pour obtenir son accord avant de monter une expo.
Début de réveil. Mais au fait, je n’ai pas de contrat ?
Et Jules, en a-t-il ? Je l’appelle, il n’en a pas non plus. Je m’empresse
de déposer une empreinte numérique de mon œuvre sur un site spécialisé pour la
protéger.
L’associé est un homme sévère d’une cinquantaine d’années,
très élégant. Son attitude et sa tenue vestimentaire suintent le succès, la richesse,
un peu l’arrogance. Il nous reçoit dans son bureau, il trône derrière une table
de travail immense mais nue. Aux murs des tableaux et des rayonnages modernes
couverts de livres anciens. Angela et moi sommes assis de l’autre côté de la
table. Il attaque, direct :
- J’ai laissé carte blanche à Angela pour ce projet. Son
idée était séduisante. Elle vous a trouvé, ainsi que votre collègue graphiste.
Mon associée est plutôt douée pour dénicher des perles rares en termes de
peinture, de dessins. Mais la littérature n’est pas son point fort.
Un silence, il se concentre.
- J’ai lu attentivement vos textes. Plusieurs fois. Ça ne
colle pas. J’attendais des coups de poings, et tout ce que j’ai entre les mains
est gnangnan. Votre poésie de la beauté urbaine ne parlera qu’à des
adolescentes de quinze ans. Elles n’achètent pas ce genre d’œuvres. Quand vous
évoquez la laideur c’est pleurnichard. Bref, ça ne va pas du tout. On arrête le
projet.
Je suis atterré. Je compte sur ce projet, il me fait
revivre, il me sort de la monotonie des haïkus, des chroniques et de la routine
installée depuis que je suis seul. Merde ! Je ne peux pas laisser faire
cela.
- Je ne comprends pas.
J’essaye de parler d’une voix ferme, de ne pas laisser voir
mon trouble et ma colère.
- J’ai beaucoup travaillé avec Angela, j’ai écouté ses
conseils et ses avis, les textes ont été adaptés en fonction d’eux. Ma
production est conforme à la demande.
L’homme m’interrompt d’un geste de la main.
- Je vous ai dit qu’elle n’est pas spécialiste de
littérature. Je continuerai à lui faire confiance, mais seulement pour les
aspects graphiques. Je garde les dessins et j’ai trouvé quelqu’un d’autre pour
les textes. Nous en restons là.
Angela n’a pas bougé un cil pendant ce court entretien. Je me
lève, me dirige vers la porte, elle ne me suit pas…
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