mardi 13 septembre 2016

Caïn, José Saramago




Épisode suivant de mes lectures de vacances, et ici aucune déception, la lecture de Saramago fut encore un éblouissement ! Il faut rentrer dans sa façon d’écrire, un peu surprenante : les noms propres n’ont pas de majuscule, les tirades d’un dialogue ne sont espacées que par une virgule, mais ces détails mis à part, puisqu’on s’y fait très bien, quelle prose exceptionnelle !

Comme le titre l’indique, Ce roman nous fait suivre l’itinéraire de Caïn, après qu’il eut tué Abel, Victime de l’injustice de Dieu qui a préféré les offrandes de son frère. Il erre sur un âne, au gré des lieux et des époques,  au hasard de sauts dans le temps qu’il ne maîtrise pas. Amant de Lilith, il va repartir sur les chemins et ainsi arrêter le bras d’Abraham, regarder mourir dans le feu des enfants de Sodome ; il verra la tour de Babel s’effondrer, Moïse massacrer son peuple au fil de l’épée, Jéricho être détruite, Job souffrir des conséquences d’un pari entre Dieu et le diable. Son voyage s’achève sur l’arche de Noé, ou il prendra une décision qui changera à jamais le cours des choses, mettant un terme définitif aux actes d’un Dieu qu’il juge cruel, orgueilleux, sans morale.

Plutôt que d’écrire de longues lignes expliquant en quoi ce livre est  formidable, je préfère vous régaler de quelques extraits bien choisi :

Et pourtant cet homme acculé avance, poursuivi par ses propres pas, ce maudit, de fratricide avait bien commencé, comme peu de personnes l’ont fait. Sa mère peut en témoigner, elle qui l’a trouvé si souvent assis sur le sol humide du jardin en train de contempler un arbrisseau fraîchement planté, attendant de le voir grandir. Il avait quatre ou cinq ans e il voulait voir pousser les arbres. Alors, visiblement dotée de plus d’imagination que son fils, elle lui avait expliqué que les arbres sont très timides, qu’ils ne poussent que lorsqu’on ne les regarde pas, C’est parce qu’ils ont honte, lui dit-elle un jour. Caïn garda le silence quelques instants, réfléchissant, puis il répondit, Alors ne regarde pas, mère, devant moi ils n’ont pas honte, ils ont l’habitude.

Ce que le seigneur avait annoncé s’accomplissait, il envoyait un grand vent qui ne laisserait pas pierre sur pierre ni brique sur brique. La distance ne permettait pas à caïn de sentir la violence de l’ouragan soufflait par la bouche du seigneur ni le fracas des murs, piliers, arcades, voûtes, contreforts s’écroulant l’un après l’autre, voilà pourquoi la tour paraissait s’effondrer en silence, comme un château de cartes, jusqu’au moment où tout finit dans un énorme nuage de poussière s’élevant dans le ciel et occultant le soleil. Bien des années plus tard, on prétendra qu’une météorite était tombée là, un de ces nombreux corps célestes qui errent dans l’espace, mais ce n‘est pas vrai, il s’agissait là de la tour de babel que l’orgueil du seigneur ne consentit pas à ce que nous la terminions .

Alors josué lança la malédiction suivante, Maudit soit celui qui se leva pour bâtir la ville de jéricho, que meure le fils aîné de celui qui en jettera les fondations et le puîné de celui qui en construira les portes. En ce temps-là les malédictions étaient d’authentiques chefs-d’œuvre littéraires, tant par leur force d’intention que par ‘expression formelle en laquelle elle se condensait, si josué n’avait pas été l’homme affreusement cruel qu’il fut, nous pourrions le prendre encore aujourd’hui pour modèle stylistique, en tous cas pour ce qui est du chapitre essentiel des imprécations et des malédictions, si peu fréquenté par la modernité.

La terre est immobile, seigneur, dit josué d’une voix tendue, désespérée, Non l’ami tes yeux te trompent, la terre bouge, elle tourne sur elle-même et tournoie dans l’espace autour du soleil (…) Je pensais que le fonctionnement de la machine dépendait uniquement de ta volonté, seigneur, Je ne l’exerce déjà que trop, ainsi que d’autres en mon nom, voilà pourquoi il y a tant de mécontentement (…)
Ce dernier extrait faisant le lien avec La discorde céleste de JP Luminet, lu cet été et chroniqué il y a quelques jours.

Bien sûr, les croyants convaincus parmi les lecteurs vont être épouvantés de ces extraits. Cependant ils sont complètement représentatifs de ce roman que j’ai trouvé particulièrement jouissif !

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