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Depuis deux jours Pons avait disparu. Les hommes du
village ont organisé une battue dans les garrigues, grimpant progressivement vers
la montagne, ces Pyrénées traîtresses où l’on pouvait glisser d’un rocher et
rester étourdi dans une ravine sans pouvoir en sortir. Ils revinrent
bredouilles et abattus. Les garçons de la petite bande n’osaient plus courir
dans les rues, ni se montrer ensemble dans le village. Alors ils se faufilaient
comme des ombres le long des murs, se réfugiant à deux ou trois, pas plus, dans
une encoignure pour se donner des nouvelles : Pons résiste, il refuse
toujours de jurer.
Pere a eu enfin le droit de se lever et de faire quelques
pas dehors, mais aucun gamin n’a osé l’approcher.
Troisième jour, un dimanche. Josep avait mal au ventre. Il
se sentait coupable. C’est lui qui avait eu l’idée du coup des Trabucayres,
mais il n’avait pas compris que cela voulait dire enlever Pons, le faire
pleurer comme un enfant, faire pleurer sa mère, faire pleurer tout le monde.
Son petit cœur d’enfant de sept ans était retourné, son estomac aussi. Il était
incapable de boire son chocolat. Alors il faisait traîner, tournant sans fin la
cuiller dans le bol, attendant que sa
mère ait le dos tourné pour le jeter à l’évier. Puis il sortit rôder dans les
rues. Sa mère allait à la messe, mais pas son père ni lui. Alors il traîna son
désarroi dans les rues, avançant sans regarder où il va. Et ses pas,
machinalement, comme tous les matins, l’emmenèrent sur le chemin de l’école. Il
longea le mur de la cour de récréation, les yeux rivés au sol, quand il buta
contre des pieds. Levant le nez, il vit M. Legrand. Alors sa honte et son
angoisse le submergèrent, il fondit en larmes.
- Et
bien, qu’y a-t-il, Joseph ? Pourquoi tu pleures ?
- Oh
M’sieur ! Oh M’sieur !
C’est
tout ce qu’il pouvait dire. M. Legrand eut un soupçon.
-
Joseph, c’est à cause de Pons ?
-
Oui, M’sieur.
-
Allons, Joseph, viens avec moi sur le banc de la cour, tu vas tout me dire.
Alors
Josep, entre deux sanglots, avoua sa mauvaise idée, ses regrets, sa peine
d’avoir fait du mal.
- Toi, Josep, tu ne bouges pas d’ici !
Et
chacun put voir M. Legrand sortir comme un fou de la cour, traverser le village
en courant et rameuter tous les hommes qu’il croisait pour se diriger vers le
vieux Chêne. Ils trouvèrent là le jeune Pons, recroquevillé sur une banquette,
mains et pieds liés, bâillonné. Lorsqu’ils le délivrèrent, le garçon se mit à
pleurer tout en tremblant. Il n’avait mangé depuis trois jours. Les hommes le
portèrent jusque chez lui, où il fut couché dans le grand lit de ses parents,
pendant que la vieille Dide lui préparait un bouillon. Il sombra aussitôt dans
un profond sommeil, et ne fut capable de
raconter sa mésaventure qu’en fin d’après-midi.
Cette fois-ci, ce furent les pères qui tinrent conseil, au
café. Le père Pons hurlait de rage, disant que les gosses méritaient une sévère
punition, comme de passer l’été en maison de redressement. Celui de Pere
faisait timidement remarquer que son fils, rossé par Pons, était au lit lorsque
le rapt s’était produit. M. Legrand tentait de calmer les esprits, expliquant
que son intervention auprès de Pere avait peut-être tout déclenché, que les
enfants ne s’étaient pas rendu compte… Les autres se taisaient, le nez dans
leur verre, rouges de honte. M. Legrand, à bouts d’arguments, proposa une
sentence : les fautifs devaient être séparés pendant l’été, lorsque la
classe serait finie, avec obligation de faire des devoirs de vacances qu’il se
chargeait de fournir. Le père Pons en demanda plus, qu’ils soient tous au pain
et à l’eau pendant trois jours et pas d’argent de poche pendant les vacances.
Tous les pères acceptèrent, heureux que les choses n’aillent pas plus loin.
Antoine retournerait à Céret, Jacques irait chez sa tante à Perpignan. Josep
n’avait pas d’endroit ou aller, alors M. Legrand l’emmènerait avec lui. Jean
irait travailler chez un lointain cousin dans la montagne, éleveur de moutons.
Soulagé que cela se termine sans punitions corporelles, l’instituteur retourna
vers son école. Il était près de huit heures du soir. En s’approchant, il
distingua sur le banc de pierre une petite silhouette.
-
Bon sang Joseph, mais qu’est-ce que tu fais là ?
-
Vous m’avez dit de ne pas bouger, j’ai pas bougé.
-
Excuse-moi, bonhomme, je t’avais un peu oublié ! Viens, je vais te donner
du chocolat.
Pere, lui, avait vécu ces événements depuis sa maison. Sa
mère avait peur pour lui et préférait le garder près d’elle. Ses amis vinrent donc
le voir pour lui expliquer toute l’affaire. Il ne fit qu’un commentaire :
-
Vous êtes complètement fous. Pour racheter une petite bêtise, faire une bande
avec Pons, vous en avez fait une énorme.
-
Mais… tu nous feras les leçons, à la rentrée ?
- Je
ne sais pas… J’ai plus trop envie. Ça va encore faire des histoires. Je crois
que non.
En
prononçant cette phrase, il n’y croyait pas vraiment. Il avait beaucoup
réfléchi, il aimait donner ses leçons. Mais il lui fallait être sûr de sa
tranquillité.
Depuis deux jours, Pere faisait la vie à sa mère, la
suppliait pour qu’elle le laisse sortir. Il venait d’obtenir sa permission et
se rendit à l’épicerie.
-
Bonjour Mme Pons. Puis-je voir Pons, s’il vous plait ?
- Il
est sur la terrasse, derrière, vas-y.
-
Merci M’dame.
Il
traversa la maison derrière l’épicerie et vit le garçon assis à l’ombre d’une
glycine, qui s’essayait au tressage de l’osier.
-
Salut Pons.
-
Salut.
-
Ecoute bien, parce que je ne le dirai pas deux fois. Je trouve que ce qu’ils
t’ont fait, c’est pas bien. Tu as été méchant, autoritaire et tu méritais une
punition. Mais c’était à moi de te la donner, pas à eux. Alors pour ça je te
présente mes excuses. Mais pour le reste, le Chêne est à ceux qui veulent y
travailler. Si tu veux étudier, tu es le bienvenu, sinon tu vas faire tes coups
ailleurs. Voilà !
-
Mon père a dit que si je continuais mes coups, j’irai jamais au lycée et je ne
serai jamais directeur de grand magasin. Et moi, je veux être directeur des
Dames de France. Alors j’arrête. Le Chêne est à ceux qui veulent y travailler,
tu as raison. Retournez-y.
- Si
un jour tu le veux, tu peux venir.
- Pourquoi
pas ?
Madeleine Bleue, sur facebook, m'a écrit: "J'aime beaucoup Valérie, tant de naturel dans cette belle histoire de petits galopins au parfum d'antan...bravo !"
RépondreSupprimerje suis ravie de ce commentaire :-)
@fredclc sur twitter : "Un petit moment de nostalgie agréable."
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