Aujourd'hui, A l'encre bleu nuit a le plaisir d'accueillir Jean-Claude Duponq, ami internet et littéraire de longue date, et son blog Ecritève.
Nous avons échangé deux photos et écrit aoutour d'elles... Mon texte se trouve donc... chez lui :-)
Nous avons échangé deux photos et écrit aoutour d'elles... Mon texte se trouve donc... chez lui :-)
Un grand merci à Brigitte Célérier qui chaque mois publie sur son blog la liste des vases communicants.
"ne pas écrire pour, mais écrire chez l'autre".
Une page musicale s’ensuivit sur le poste en bois et Eddy Constantine
entonna « c’est si bon »
Concours de circonstance ? Albert ne put retenir de rire de bon coeur
: en pleine période de guerre froide et de combats en Indochine, ces chants
légers avaient du bon. Lui n’était pas parti, trop vieux pour les combats.
Se déhanchant avec un plaisir non dissimulé sur l’air endiablé
« bear cat » de Rufus Thomas, l’homme se dirigeait déjà vers la porte
d’entrée à deux battants :
- À tout à l’heure, la mère, je m’en vais chez la Germaine !
- À tantôt mon gars !
La Germaine habitait une humble demeure, en bord de route, au centre
du village voisin, dans le tournant, non loin de l ‘épicerie. Toujours
parée d’innombrables plantes fleuries à souhait, la maison était moins bien
entretenue qu’elle l’était du temps de Jules. Jules, c’était le mari ; depuis
son décès, pour les travaux, il fallait qu’elle demande et demander; la
Germaine n’aimait pas ça.
Un mot était croché à la vitre de la porte-fenêtre mais Albert avait
vu bouger à l’intérieur.
« Sûr qu’elle est là, se dit-il, elle se terre encore dans son
chagrin, l’hiver, trop rigoureux, n’a pas du arranger les choses »
Sur un banc, à l’extérieur, une grande ardoise était posée et on
pouvait y lire dans plusieurs langues un texte trop explicite :
« aimez-vous l'un l'autre et vous serez heureux. C'est aussi simple et
aussi difficile que ça ».
Albert frappa au carreau et entra :
- Bonjour la Germaine, j’viens voir si t’as besoin de quelque chose.
- Bonjour Albert.
- Comment te portes-tu ?
- Pas très bien, le Jules me manque.
- Je sais, c’est douloureux.
- C’est de ma faute s’il est mort, j’aurais du vérifier la validité de
son vaccin, le pousser chez le docteur.
- Dis pas ça la Germaine
Mais la Germaine poursuivait déjà
- Tu sais comme il était, trop dur, trop fier, j’aurais du être
attentive lorsqu’il s’est blessé l’an dernier avec la faucille. Je m’en veux,
tu ne peux pas savoir comme je m’en veux.
- Non, c’est ..
- Lorsque je m’en suis souciée, la maladie s’en était déjà emparée …
Elle s’arrêta tout à coup, sa plainte avait surpassé la bienséance :
- Mon Dieu, je manque à toutes les politesses, veux-tu un café Albert
? Il est sur le bout du poêle, je le tiens bien au chaud.
Le café, resté à bouillonner au coin du fourneau, n’enchantait guère
Albert mais il accepta pour ne pas ajouter à sa peine. Il profita même de
l’instant pour rebondir :
- Tu ne m’as jamais dit, tu l’as rencontré comment, le Jules ?
- Je l’ai rencontré à Rouen, il y est né. Il m’a séduit par le récit
de ses aventures, il avait participé à différentes campagnes, fait dérailler
des trains pour stopper l’ennemi, serré la main du Grand Charles et je t’en
passe..
- Je ne connaissais pas cet aspect de la vie de Jules.
- C’est parce que tout était faux.
- Faux ?
- Faux, pris dans l’exode, ce journalier avait fui et s’était réfugié
en zone libre. Toute son histoire de vie était tirée de ses maudits livres.
Albert fronce les sourcils :
- Pourquoi maudits livres ?
Pour toute réponse, la Germaine le tira vers une autre pièce, une
sorte d’arrière-cuisine bien éclairée. Le long d’un mur trônait un désordre
inextricable. Un bahut privé de ses portes regorgeait de revues, de journaux
jaunis, de livres anciens abimés, usés à force d’être lus. Au dessus, une
petite pendule Art Déco des années 30 avait, définitivement, refusé de ponctuer
les heures, des pots à épices en faïence de Lorraine étaient juché sur un haut
de buffet bien trop large pour le bahut. Doté de portes vitrées, on pouvait y
découvrir le rêve de tout bibliothécaire, c’était plein à craquer de livres de
toutes dimensions et de toutes couleurs.
Germaine souriait malgré la chape de plomb qui l’avait enseveli.
- Tu vois le vélo posé contre le bahut, il le prenait pour se rendre
sur la place du village. Une nuée d’enfants était toujours attachée à ses
basques. Ils aimaient tant l’entendre conter ses hauts faits. Pendant
longtemps, il s’était inventé un roman de vie pour me séduire et me ravir. Il
s’était décidé à m’avouer le subterfuge, il y a peu ; avant sa mort. Il
craignait tant de me décevoir mais je l’avais appris bien avant.
- Vraiment ?
- Oui, je t’assure Albert, cet homme était une véritable bibliothèque
! Je ne voulais pas le blesser, alors ; je me suis tue.
Albert se tourna vers une table basse sur laquelle était posé quelques
bouquins au format inhabituel, il ne put s’empêcher d’aller voir de plus près.
La chère dame l’interpella :
- C’est tout nouveau, on le nomme « livre de poche » et tu
peux t’en procurer pour 2 francs, soit le prix d’une revue. Une vraie
révolution, n’est-ce pas ?
- C’est certain.
- Tiens, c’est le premier de la série, « Koenigsmark » de
Pierre Benoit.
Albert prit le livre, le feuilleta un peu puis lut la toute dernière
phrase. Il ne put s’empêcher alors de penser à un autre rouennais du siècle
précédent.
- Il faut que tu arrêtes de t’accuser la Germaine.
Prenant un morceau de papier et un porte-plume, il se mit à écrire cette
simple phrase :
« Ainsi mourut Jules pour avoir trop prisé le philtre de Gutenberg ».
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