lundi 22 avril 2013

Prédestination #2




              Dans la grande salle, des appareils. Ils ressemblent à des engins de torture. J’y passe deux ou trois heures chaque jour, en plus des séances de kiné. Je n’ai jamais le temps de retourner au cirque. Ça met le directeur hors de lui, il croit que je me désintéresse.
- Tu comprends ça, Pierre ? Il prétend que je n’en ai rien à fiche du prochain spectacle !
Pierre est un de mes compagnons d’infortune. Accident de moto, une jambe broyée. Pour l’instant il est encore en fauteuil roulant, mais la rééducation bat son plein. Comme pour moi.
- Dis-moi, Gina, comment es-tu venue au cirque ?
Tandis que je me concentre sur les très légers mouvements de flexion et d’extension de mon bras, je réponds :
- Je n’y suis pas venue, j’y suis née ! Je fais partie de ces quelques familles qui restent où on est acrobate, jongleur ou équilibriste de génération en génération.
- Alors si tu as un gosse, il sera acrobate aussi ?
- Ben oui…
- Incroyable d’être ainsi prédestinée ! Je sens le poids de ta famille sur tes épaules. Moi qui l’ai subie et qui ai mis des années avant de me décider à devenir cuisinier, prenant à rebours un père diplomate…

            - Je suis bien ennuyé, mademoiselle. Je n’arrive pas à résorber ce blocage de votre coude.
Assise comme je le suis, jambe gauche passée sur la droite et bras gauche posé dessus, tout à l’air d’aller bien. Mais mon coude refuse de s’ouvrir au delà de l’ange droit, et de se fermer complètement. Le kiné vient de travailler quarante-cinq minutes sur mon articulation sans succès. Il doit s’avouer vaincu mais cela ne lui coûte pas trop car…
- je crois qu’il existe une solution. Je ne vous promets pas de miracles bien sûr, mais je vais vous confier à une collègue qui travaille avec d’autres méthodes. J’en ai parlé avec elle, cela peut être adapté votre cas.
            Mon cas. J’aime beaucoup cette expression…

            Déjà six mois. Pierre a recommencé à marcher. C’est très dur, mais il s’accroche. S’il veut reprendre la cuisine, son fameux choix personnel, il devra tenir debout. Il est à la porte de la salle d’exercices et discute avec Nadia, chute de vélo. Ici, on se présente d’abord par son drame.
            J’ai de la chance par rapport à eux : je rentre chez moi chaque soir. Dans mon petit deux-pièces, ou personne ne m’attend. Mes parents sont en tournée avec mon frère. Mes deux compagnons, eux, sont trop amochés,  ils restent ici.
            Ils ont de la chance : leur pronostic est bon, ils sont de solides chances de retrouver leur autonomie, leur mobilité. Me concernant, le médecin et le kiné restent pessimistes.

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