Dans la grande salle, des appareils. Ils ressemblent à des
engins de torture. J’y passe deux ou trois heures chaque jour, en plus des
séances de kiné. Je n’ai jamais le temps de retourner au cirque. Ça met le
directeur hors de lui, il croit que je me désintéresse.
- Tu comprends ça, Pierre ? Il prétend que je n’en ai
rien à fiche du prochain spectacle !
Pierre est un de mes compagnons d’infortune. Accident de
moto, une jambe broyée. Pour l’instant il est encore en fauteuil roulant, mais
la rééducation bat son plein. Comme pour moi.
- Dis-moi, Gina, comment es-tu venue au cirque ?
Tandis que je me concentre sur les très légers mouvements de
flexion et d’extension de mon bras, je réponds :
- Je n’y suis pas venue, j’y suis née ! Je fais partie
de ces quelques familles qui restent où on est acrobate, jongleur ou
équilibriste de génération en génération.
- Alors si tu as un gosse, il sera acrobate aussi ?
- Ben oui…
- Incroyable d’être ainsi prédestinée ! Je sens le
poids de ta famille sur tes épaules. Moi qui l’ai subie et qui ai mis des
années avant de me décider à devenir cuisinier, prenant à rebours un père
diplomate…
- Je suis
bien ennuyé, mademoiselle. Je n’arrive pas à résorber ce blocage de votre
coude.
Assise comme je le suis, jambe gauche passée sur la droite
et bras gauche posé dessus, tout à l’air d’aller bien. Mais mon coude refuse de
s’ouvrir au delà de l’ange droit, et de se fermer complètement. Le kiné vient
de travailler quarante-cinq minutes sur mon articulation sans succès. Il doit
s’avouer vaincu mais cela ne lui coûte pas trop car…
- je crois qu’il existe une solution. Je ne vous promets pas
de miracles bien sûr, mais je vais vous confier à une collègue qui travaille
avec d’autres méthodes. J’en ai parlé avec elle, cela peut être adapté votre
cas.
Mon cas.
J’aime beaucoup cette expression…
Déjà six
mois. Pierre a recommencé à marcher. C’est très dur, mais il s’accroche. S’il
veut reprendre la cuisine, son fameux choix personnel, il devra tenir debout. Il
est à la porte de la salle d’exercices et discute avec Nadia, chute de vélo.
Ici, on se présente d’abord par son drame.
J’ai de la
chance par rapport à eux : je rentre chez moi chaque soir. Dans mon petit
deux-pièces, ou personne ne m’attend. Mes parents sont en tournée avec mon
frère. Mes deux compagnons, eux, sont trop amochés, ils restent ici.
Ils ont de
la chance : leur pronostic est bon, ils sont de solides chances de
retrouver leur autonomie, leur mobilité. Me concernant, le médecin et le kiné
restent pessimistes.
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