lundi 23 septembre 2013

des bandits en culottes courtes #3

épisode 1 ici
épisode 2 ici



Après les vacances de Pâques, M. Legrand leur présenta un nouveau, Pons. Aucun élève ne fut surpris : tous avaient assisté à l’emménagement de la famille comme au spectacle. Débarquant en plein village avec une carriole tirée par un cheval, ils avaient amené tous leurs meubles : armoires, tables, chaises, commodes, cuisinière à bois… Après vingt ans dans la bonneterie à Rivesaltes, à vendre des gaines et des élastiques, Monsieur Pons venait reprendre l’épicerie de sa cousine Dide. Trop vieille pour continuer à grimper sur les escabeaux, n’y voyant plus assez pour compter les roudoudous et les réglisses, elle avait besoin d’aide. C’est ainsi que Pons arriva sur les bancs de l’école. Les premiers soirs, il rentra chez lui après la classe, goûta et sortit dans les rues à la recherche de quelque camarade d’école avec qui s’amuser. Il fut étonné d’en trouver peu. Au bout de quelques jours il avisa Jean et lui demanda :
- Tu fais quoi, toi, après la classe ?
- Moi ? Je vais avec les autres, pardi ! On travaille avec Pere, pour avoir de bonnes notes.
- Vous faites quoi ? insista Pons, un sourire narquois sur les lèvres.
- On travaille, pauvre nouille ! On se rassemble au vieux Chêne et Pere nous aide si on n’a pas compris.
Le soir même, Pons vint rôder autour du vieil arbre. Pas impressionné du tout. Ni par sa stature, ni par son aura. Chaussé d’espadrilles, il s’approcha sans un bruit, s’assit près de l’ouverture du tronc et écouta. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir qu’ils travaillaient vraiment ! Jacques récitait ses tables de multiplication, des plumes crissaient sur du papier, et Pere expliquait à Jean pourquoi les trains se croisaient à onze heures cinquante-huit. Il repartit tout aussi discrètement, pensant « ben merde alors, j’ai jamais vu des gars aussi sérieux … ».

Le lendemain, Pons demanda de venir, la règle du participe passé lui posait problème. Pere lui expliqua l’accord : il devait amener un goûter. Il amena du chocolat, un luxe inouï pour la plupart des membres du groupe.
- Ouah ! Comment tu l’as eu ?
- C’est rien, fit-il négligemment, je l’ai piqué à l’épicerie.
Alors Pere répondit :
- Ecoute, ici tout le monde est réglo. Le goûter, c’est les parents qui le donnent.
- D’accord, d’accord, je ne le ferais plus, mon père. Bon, tu me l’expliques, la règle du participe ?

Pons se montra assidu à ces séances de travail. Il disait aimer l’atmosphère bienfaisante dans la cavité. Comme si le chêne-liège le protégeait. Pourtant, un jour, il arriva avec un jeu de cartes.
- Oh les gars, si on jouait ?
- Non, on est là pour travailler, cria Josep.
- Toi, le Petit, la ramène pas, tu veux ?
Le Cérétan intervint :
- Fiche-lui la paix, c’est un petit !
- Ouh ! Le Cérétan qui se fâche ! Et d’abord pourquoi on t’appelle comme ça ? Je parie que tu n’y as jamais mis les pieds, à Céret ! Moi, je vais t’appeler par ton vrai nom, Antoine !
Le Cérétan blêmit.
- Quand ma mère était malade, je suis allé vivre chez mon oncle, à Céret. Je ne suis revenu qu’après sa mort. Alors ta gueule ! termina-t-il dans un hurlement.
- Bon les gars, interrompit Jean, si tout le monde doit d’engueuler, moi je m’en vais. Mais si on se calme, je veux bien faire une partie de cartes. C’est vrai quoi, je le veux, mon certif’, mais on fait que travailler et on a tous de meilleures notes.
Deux autres se portèrent volontaires et tous s’installèrent dans un coin pour jouer au Truc. A compter de ce jour, l’ambiance au creux du chêne des Trabucayres devint moins posée, moins studieuse.

2 commentaires:

  1. Bel arbre: est ce le chêne de la nouvelle?

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  2. C'est bien le chêne de la nouvelle. Il a vraiment existé et l’histoire de Trabucayres résumée dans l'épisode 2 est réelle. ce chêne a malheureusement disparu, dans les années 70 je crois. Je ne l'ai jamais vu.

    Je pense que l'homme sur la photo est Ludovic Massé, écrivain catalan qui a romancé la fin de l'aventure des Trabucayres.

    Plus d'infos à venir après la publication de dernier épisode de ma nouvelle...

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