vendredi 13 septembre 2013

le tiret et le point-virgule, avec Jules Verne



en pleine lecture de ce vieux volume
Je suis en train de lire Cinq semaine en ballon, de Jules Verne.

C’est à la suite d’une visite à Nantes et de sa maison, surplombant la Loire, que j’ai eu envie de relire notre vieil ami Jules. Ma fille m’a prêté un  volume chiné chez un bouquiniste. Une édition Hetzel, cette fameuse maison qui publia toute l’œuvre de l’auteur, avec des couvertures magnifiques. Bon, là c’est l’édition économique,sans illustrations et avec une couverture très sobre…  Il a été imprimé chez Louis Poupart-Davyl, par ailleurs écrivain qui n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire (lire ici).

Le volume qui est entre mes mains a appartenu à un P. Bertho, coiffeur-parfumeur à St Etienne de Mont Luc, puis à Paul Maillard, qui habitait Nantes. Les propriétaires suivants n’ont pas laissé de traces…sauf ma fille qui me l'a prêté.

Mais je m’égare. Si lire un livre d’occasion qui a en soi une histoire est amusant, je voulais surtout vous faire part de mon étonnement quant à deux points de détails du livre.

Jules Verne use beaucoup de l’adverbe très, toujours suivi d’un tiret :
« Le docteur, d’après des calculs très-exacts, trouva que … »
« Le commandant Pennet et ses officiers assistaient à ce repas, qui fut très-animé et très-fourni en libations flatteuses… »
Lisant beaucoup, c’est quand même la première fois que je rencontre cette façon de l’écrire. De mon, côté je n’ai jamais mis de tiret. Alors, est-ce une faute de ma part ? Voilà qui mérite une petite enquête… Très vite ( !), je trouve cette mention dans le site Wiktionnaire : « Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’usage prépondérant est de lier l’adverbe à l’adjectif avec un trait d’union. » Incroyable, car je ne crois pas avoir vu ce type trait d’union dans mes lectures de Victor Hugo, Alexandre Dumas ou Émile Zola. Peut-être les éditeurs modernes ont-ils enlevé ce tiret désuet ? Un examen d’une édition récente d’un Jules Verne s’impose.

Dans ma bibliothèque se trouve une édition en livre de poche de Voyage au centre de la terre. Imprimé en 1992.  Bien loin du XIXe  siècle. Et bien je confirme, le tiret a disparu. Est-ce un bien ou un mal ? Je ne le sais pas, mais je dois dire que ça me fait tout bizarre de lire un roman pas tout-à-fait comme l’auteur l’a écrit.

Deuxième sujet d’étonnement : l’usage intensif du point-virgule.
« Vous voyez, dit-il, que les travaux de ce savant sont d’une extrême précision ; nous nous dirigeons tout droit sur le district du Loggoum, et peut-être même sur Kernak, sa capitale ; c’est là que mourut le pauvre Toole, âgé de vingt-deux ans : c’était un jeune anglais … »
«A  la vue du Victoria, l’effet si souvent produit se reproduisit encore : d’abord des cris, puis une stupéfaction profonde ; les affaires furent abandonnées, les travaux suspendus ; le bruit cessa ».

On sait que le point-virgule est en voie de disparition. Mais qu’est-ce qu’un point virgule ? Sur le site la ponctuation.com, la définition proposée est la suivante : « Le point-virgule marque une pause plus importante que la virgule mais à la différence du point, la voix ne baisse pas complètement entre les deux propositions. » L’usage de la phrase courte menace sa présence dans les romans moderne, et je ne parle pas des articles de presse !

Dans le cas de ce roman de Jules Verne, il est employé à la perfection : dans les dialogues, il marque des pauses entre deux propositions qui sont indépendantes au plan grammatical mais liées par le sens. Cela permet de reproduire à l’écrit les respirations que l’on aurait à l’oral. Dans des descriptions comme c’est le cas de la deuxième citation, le point-virgule permet au lecteur de suivre une notion de chronologie rapide. Si l’auteur avait utilisé des points, le résultat aurait été saccadé. S’il avait opté pour la virgule, il aurait laissé penser que tous les événements se produisaient de façon simultanée.

Vous l’aurez compris, j’aime bien le point-virgule, qui permet d’exprimer ce qu’aucun autre signe de ponctuation autorise. Son emploi peut paraître complexe, mais céder devant la difficulté, c’est un peu renoncer à la beauté de notre langue. Si l’éphémère « comité de défense du point virgule » a vite disparu du Net, l’article de BibliosObs à ce sujet  est motivant pour se mobiliser et continuer à user de ce signe de ponctuation hybride. 

Merci Jules pour avoir suscité des étonnements, et ces recherches... 

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup cette réflexion, très pertinente.
    Je ne connaissais pas l'histoire du tiret, qui, le pauvre, a perdu de sa personnalité au cours des temps.
    Continue à t'interroger, pour le plaisir des lecteurs.

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